Le chiac va-t-il avoir la peau du français ?
20 avril 2012
Au Nouveau-Brunswick, le chiac, mélangeant vieux français, expressions acadiennes et anglais, est en vogue chez les jeunes. Et inquiète les défenseurs du français face à la suprématie anglophone.
Si vous voyagez à travers l'est du Canada et le Nouveau-Brunswick, ne soyez pas surpris si, dans un bar de la région de Moncton, le serveur vous dit : « Espère-moi, j'viens right back. » Comprenez : « Attends-moi, je reviens tout de suite. » Bienvenue dans le royaume du chiac.
Ce parler très particulier, apparu dans les années 1960 et qui comprend des expressions acadiennes, des mots hérités du vieux français et du vocabulaire anglais, a fait le succès de Dano LeBlanc et de son personnage de bande dessiné Acadieman. « Le chiac était la langue parfaite pour mon humour et ce projet », explique le dessinateur dans sa librairie à Moncton.
« On parle mal français, on a honte »
Pour créer Acadieman, « super-héros acadien contemporain », Dano LeBlanc fut pris de ce qu'il appelle « une schizophrénie linguistique » : pour écrire ses dialogues, impossible de trancher entre un anglais ou un français standard. Le chiac s'imposa donc naturellement. « Il fait partie de mon identité, c'est ma langue. Mon père parlait en vieil acadien, ma mère en anglais. Le chiac m'a complètement libéré. »
Le chiac a aussi décomplexé de nombreux jeunes Acadiens du Nouveau-Brunswick. Si le nord de la province fait la part belle au français, le sud-est et Moncton sont dominés par l'anglais. « On a toujours vécu dans un environnement anglophone. Ici, on parle mal le français et c'est une honte pour certains jeunes de s'exprimer. Le chiac nous donne plus de confiance et nous permet de continuer à parler français », témoigne Gabriel Malenfant, l'un des trois membres du groupe de hip-hop acadien Radio Radio, véritable ambassadeur de la langue. « Sa structure grammaticale est calquée sur le français. Il n'y a donc pas de risque d'assimilation. »
Le chiac et son utilisation par des figures de proue de la culture acadienne contemporaine inquiètent pourtant certains. « On manque d'exemples acadiens qui parlent français », déplore Adrienne Deveau. Cette ancienne traductrice et enseignante de français juge le chiac « déplorable » et « dangereux » pour l'avenir de son peuple. « L'identité acadienne s'est construite autour de la langue et de la religion. Le jour où on perdra notre langue, on perdra notre culture. » Or, selon le dernier recensement établi par Statistique Canada, en 2006, le pourcentage de francophones dans la région est descendu sous les 33 %. Une première depuis plus de cinquante ans...
LIRE ET ÉCOUTER LE CHIAC
Fausse publicité réalisée par Dano LeBlanc :
« Le chiac est la solution » : www.youtube.com/watch?v=w36ZLQ5H2so
« Cargué dans ma chaise » (Radio Radio) : www.youtube.com/watch?v=mCzwCtae0UY
Petit lexique chiac
Check la grande bringue, il fesse quasiment le ceiling : Regarde comme il est grand, il touche quasiment le plafond.
C'est right le fun : C'est génial.
Je suis right frié : Je suis trop fatigué.
Hey, j'ai frète, arrête de hogger les couvartes : Hey, j'ai froid, arrête de tirer la couverture.
J'ai parké mon char en avant du p'tit store : J'ai garé ma voiture en face du magasin.
Il est yinque un p'tit mask'oui : Ce n'est qu'un bébé.
Cousse qu'on a à manger ? Chu right starvé : Qu'est-ce qu'il y a à manger ? Je suis affamé.
JACQUES BERNARD
Le chiac, parfois appelé la chiacque, est un parler franglais ou anglo-français du Canada. Ce mélange vernaculaire est parlé principalement parmi les jeunes générations du Nouveau-Brunswick au Canada, notamment près de Moncton, où il est fortement influencé par la communauté anglophone. Un chiac, ou chiacque au féminin, est un habitant du Sud-est du Nouveau-Brunswick1.
Le chiac est distinct du français acadien. Il est un mélange des mots français, anglais, et de vieux français. Il emploie principalement la syntaxe française avec du vocabulaire et des expressions anglaises. Quelques exemples :
- « Ej vas tanker mon truck de soir pis ej va le driver. Ça va êt'e right dla fun. » (Je vais faire le plein de mon camion ce soir et je vais faire une promenade. Ça va être vraiment plaisant.)
- « Espère-moi su'l'corner, j'traverse le chmin et j'viens right back. » (Attends moi au coin, je traverse la rue, je reviens bientôt.)
- « Zeux ils pensont qu'y ownont le car. » (Eux, ils pensent que l'auto leur appartient.)
- « On va amarrer ça d'même pour faire sûr que ça tchenne. » (On va l'amarrer comme ça pour s'assurer qu'il tienne.)
- « Ca t'tente tu d'aller watcher une vue? » (Est-ce que ça te tente d'aller voir un film?)
- « Ej ché pas...so quesque tu va faire dessoir? » (Je ne sais pas. Qu'est-ce que tu fais ce soir?)
La chiac est très utilisé, surtout à Moncton et dans toutes les villes franco-anglaises à cause des deux langues qui se mélangent.
Le chiac est parfois désavoué par les anglophones et les francophones car considéré comme un hybride impur, un « mauvais » français ou un « mauvais » anglais. Cependant, à l'instar du joual au Québec, le chiac a été repris ces dernières années par quelques groupes du Nouveau-Brunswick en tant que composante de leur culture collective. Un certain nombre d'artistes acadiens, dont les groupes 1755 et Radio Radio, écrivent et chantent en chiac. La chanteuse Marie-Jo Thério le fait aussi. Le chiac est aussi utilisé dans la série animée Acadieman.
Bonjour,
RépondreSupprimerUn article très intéressant. Toutefois je ne comprends pas la référence à l'espéranto dans votre titre. Qu'avez-vous voulu dire ?