RESTRUCTURATION DE DETTE SOUVERAINE ET DÉFENSE CONTRE LES FONDS VAUTOURS
Martial HELAND
PROLOGUE (1)
Imaginons (2) … Un petit fonds d’investissement occidental qui achèterait des obligations d’un pays africain en guerre civile, au moment où sur les marchés, de nombreux porteurs cherchent à se débarrasser de ces obligations. Le petit fonds achète ainsi pour un total de 5 millions de dollars des titres d’une valeur nominale totale de 30 millions de dollars. Après un an de guerre, le pays africain demande une restructuration de sa dette, dont il ne peut plus assurer le service. La plupart des créanciers, FMI et grandes banques occidentales, acceptent l’idée de réduire significativement le montant du principal et de rééchelonner la dette. Mais le petit fonds d’investissement refuse : il a droit à 30 millions d’euros (3), il veut 30 millions d’euros !
L’Etat africain n’écoutant pas, le petit fonds se tourne vers un juge américain. Le juge lui accorde facilement le droit de saisir les actifs à sa portée pour tenter de se faire rembourser. Le petit fonds, ne pouvant aller se servir dans le pays africain, regarde autour de lui. Il se souvient qu’il y a dans sa ville une ambassade du pays africain : le petit fonds tente donc de bloquer les comptes de l’ambassade. Malheureusement, on le lui refuse. Par chance, le petit fonds entend dire qu’un pétrolier du pays africain s’apprête à entrer dans le port de la ville. Le petit fonds s’active et saisit la cargaison entière. Il la revend immédiatement et obtient 10 millions de dollars. Cela lui donne une grande satisfaction, mais il lui manque encore 20 millions de dollars. C’est ensuite qu’il lit dans la presse que son pays donne beaucoup d’aide au développement au pays africain. Le petit fonds a alors l’idée de saisir cette aide avant qu’elle ne soit transférée dans le pays africain. Parce qu’il est très rapide et bien informé, le petit fonds parvient ainsi à récupérer encore 10 millions de dollars d’aide au développement.
Pendant que le petit fonds réfléchit à un moyen de récupérer ses derniers 10 millions de dollars, le FMI et les grandes banques occidentales entament sérieusement les négociations relatives à la restructuration de la dette du pays africain. Le pays africain a bien entendu dire qu’un petit fonds lui prenait un peu d’argent ici et là, mais il n’a pas de temps à perdre avec ça : la restructuration de sa dette est vraiment plus importante, elle concerne beaucoup plus d’argent, et une fois terminée, le pays africain pourra à nouveau emprunter sur les marchés.
Le managing partner du petit fonds sait tout cela, et c’est ainsi qu’il a une idée de génie. Le petit fonds investit discrètement 4 millions de dollars en lobbying et dans une campagne
médiatique à la télévision et dans les journaux de Washington, montrant à quel point les dirigeants du pays africain sont corrompus et ont de belles villas sur la French riviera. Après deux semaines de campagne, le FMI annonce dans un communiqué qu’il suspend les négociations relatives à la restructuration de la dette du pays africain. « Nous ne voulons pas que les efforts financiers consentis par la communauté internationale enrichissent un gouvernement corrompu », dit le FMI.
Le président du pays africain panique : « si nous ne trouvons pas une solution pour restructurer notre dette puis lever de nouveaux fonds, nous ne pourrons plus payer les fonctionnaires et le gouvernement va être renversé ! » Son ministre des finances appelle donc le petit fonds et lui demande combien il veut…
Quelques jours plus tard, le FMI et le pays africain se rassoient à la table des négociations.
1 Ce prologue a pour seul but d’éveiller la curiosité du lecteur quant au problème des fonds vautours. Il ne recherche pas le réalisme ni l’analyse juridique.
2 Inspiré de faits réels.
3 Il faudrait normalement ajouter les intérêts et éventuels arriérés, mais nous simplifions.
Par Jacques Delpla
La restructuration des dettes souveraines excessives en zone euro est pour bientôt : c’est la Banque centrale européenne qui va la déclencher. Comment ? Avec son programme de rachat de dettes souveraines (OMT – « outright monetary transactions ») annoncé en septembre.
L’OMT est officiellement un mécanisme destiné à renforcer la liquidité des dettes souveraines via des rachats de dette par la BCE. Mais il est assorti d’une condition forte : le pays bénéficiaire doit signer un accord de réforme avec l’Europe (MES, Mécanisme européen de stabilité). C’est cette signature qui déclenchera la restructuration des dettes.
Zone euro : comment la BCE organise l'inévitable faillite souveraine
Par Jacques Delpla le lundi 3 décembre 2012, 00:20
Jacques Delpla n'est pas un adepte de la langue de bois. Dans deux interventions au ton très direct - l'une sur l'antenne de Radio classique , l'autre sur le blog Les Echonoclastes des Echos - il esquisse le scénario des événements qui, sans que ce soit nécessairement l'apocalypse, vont encore secouer la zone euro.
La restructuration (i.e. le défaut) des dettes souveraines est-elle inévitable en zone euro ? Oui, c’est évident aujourd’hui.
Le FMI l’a implicitement admis dans son dernier rapport semestriel: historiquement, les pays développés avec une dette supérieure à 100% du PIB n’ont pu la réduire qu’avec de l’inflation (surtout) et de la croissance (souvent engendrée par une forte dévaluation).
Une étude récente de la Banque de France (cf. éditorial de J-M Vittoridu 29 octobre) va dans le même sens pour la France : jamais la France n’a réduit une forte dette par la seule austérité.
La restructuration des dettes souveraines excessives en zone euro est donc pour bientôt : c’est la Banque Centrale Européenne qui va la déclencher. Comment ? Avec son programme de rachat de dettes souveraines (OMT – Outright Monetary Transactions) annoncé le 6 septembre.
Les tentatives de réduction de la dette par la seule austérité ont en général échoué, car elles dépriment l’activité et engendre de la déflation par la dette à la Irving Fischer, ce qui augmente d’autant la charge de la dette. Or, les pays en difficulté de la zone euro (la périphérie) ne peuvent compter ni sur l’inflation (cf. stabilité des prix de la BCE), ni sur la dévaluation (ils veulent demeurer dans l’euro), ni sur la croissance (ils doivent au contraire faire une dévaluation interne pour restaurer, ce qui équivaut à une baisse du PIB).
Il ne reste donc que le défaut (appelé pudiquement « restructuration » des dettes). Les dirigeants de l’euro refusent (jusqu’ici) de reconnaître qu’en monnaie unique, sans inflation, la restructuration des dettes est, pour les pays avec forte dette et manque de compétitivité, le seul moyen de réduire des dettes. Mais, le défaut des dettes est inhérent à la construction de l’euro, ce n’est pas un accident. Aujourd’hui, c’est la BCE qui enclenche le mécanisme.
L’OMT est officiellement un mécanisme destiné à renforcer la liquidité des dettes souveraines via des rachats de dettes (de moins de 3 ans) par la BCE sur les marchés. Mais, et c’est très important, l’OMT est assorti d’une conditionnalité forte : le pays bénéficiaire doit signer un accord de réformes avec l’Union Européenne (MES, Mécanisme Européen de Stabilité) et, éventuellement, avec le FMI. Or, c’est la signature d’un tel accord qui déclenchera la restructuration des dettes.
Pour comprendre cela, il faut revenir à l’histoire et à la jurisprudence des restructurations des dettes souveraines depuis soixante ans. Quand un pays pauvre fait appel au FMI et aux Etats riches pour traverser une crise financière grave, il signe un accord avec le FMI qui stipule les mesures correctrices à entreprendre. En échange, le FMI et les Etats riches lui prêtent des fonds en urgence. Si quelques années après, il apparaît que le pays en détresse est incapable de rembourser ses dettes, alors sa dette souveraine est traitée au sein du Club de Paris. Là, les Etats créanciers coupent en deux la dette souveraine du pays en détresse : celle émise après la signature de l’accord FMI est considérée comme senior, intouchable et ne sera pas restructurée, celle émise avant l’accord FMI est considérée comme junior, restructurable et sera restructurée -en général avec une très forte perte. La ligne de partage des eaux entre dette senior et dette junior est, ici, la signature de l’accord FMI : toute dette émise avant est restructurable, celle émise après ne l’est pas. La logique est simple : on ne demande pas aux pompiers de payer les dégâts des eaux, sinon ils ne viendraient jamais.
Un point important dans cette jurisprudence : tant que la dette n’est pas restructurée toutes les créances sont égales (pari passu), la différenciation des dettes n’intervient qu’après leur émission, lors du constat d’insolvabilité du pays en crise : il y a une redéfinition ex post de la nature des dettes et c’est accepté par tous, même si cela déroge au droit commun des dettes.
C’est la même histoire qui commence en zone euro, il suffit de changer les noms : l’accord FMI devient l’accord MES avec l’Europe, le FMI devient la BCE et le pays pauvre en détresse devient l’un des pays périphériques de la zone euro avec trop de dette et un défaut de compétitivité (Espagne, Italie…).
Prenons le cas de l’Espagne. Supposons qu’elle signe un accord ESM avec l’Europe le 1er janvier 2013. La BCE va lui prêter des fonds sous forme de rachat de dette souveraine sur le marché. En cas de constat d’insolvabilité de l’Espagne dans trois ans, on appliquera la jurisprudence du Club de Paris : on considérera que toutes les dettes émises après le 1er janvier 2013 seront seniors et ne seront pas touchées. En revanche, les dettes émises avant seront restructurées (i.e. seront mises en défait et leur valeur fortement diminuée). Cette démarche serait d’une part complètement conforme à la jurisprudence internationale du Club de Paris.
Ensuite, elle permettrait à la BCE d’éviter toute restructuration de ses créances sur l’Espagne au titre de l’OMT : c’est essentiel car tout abandon de créance de la BCE sur l’Espagne serait considéré comme un financement par la BCE du déficit espagnol, ce qui est littéralement interdit par le Traité Européen (d’où l’insistance de Mario Draghi pour que l’Espagne signe officiellement un accord MES avec l’Europe avant tout rachat de dette).
On m’objectera que cette démarche viole la clause de pari passu proclamée par la BCE. Pas du tout : la BCE a simplement dit qu’elle accepte d’être traitée comme tous les autres détenteurs de dette souveraine(1). Et c’est bien ce qui se passerait : elle serait traitée de manière identiques à celle des créanciers qui ont acheté de la dette émise après le 1er janvier 2013. C’est la signature de l’accord MES qui définira le partage des eaux.
L’Espagne est très probablement insolvable : son immense bulle immobilière n’est pas encore purgée, ses banques sont au bord de la faillite, le taux de chômage est à 25% et la dette publique va bientôt atteindre les 100% du PIB. Sachant que l’Espagne ne peut ni utiliser l’inflation pour réduire ses dettes, ni dévaluer pour retrouver de la croissance (elle doit au contraire réduire ses coûts et son PIB pour restaurer sa compétitivité), le défaut et la restructuration de sa dette souveraine sont inéluctables.
En pratique, dans deux ou trois ans, la BCE constatera que la dette souveraine espagnole émise après la signature du programme MES approchera bientôt la limite des 60% du PIB (maximum du Traité de Maastricht). Pour protéger ses propres créances, elle signifiera qu’elle n’achètera plus de cette dette « senior » au-delà de la limite des 60%. A ce moment-là, le gouvernement espagnol fera défaut sur sa dette « junior », en restructurant sa dette émise avant la signature de l’accord MES. Pour cela, il changera la loi qui gouverne ses obligations souveraines émises en droit espagnol (ce qui est son plein droit). L’Espagne pourra toujours émettre de la sa dette « senior » jusqu’à 60% du PIB ; les investisseurs en dette espagnole « junior » n’auront plus que leurs yeux pour pleurer.
Il se peut que la BCE n’envisage pas aujourd’hui la restructuration des dettes souveraines, mais, nolens volens, elle conduit l’ensemble de la zone euro vers ce résultat.
Quels seront les pays restructurés ? Au-delà de la Grèce, il est assez évident que le Portugal et l’Espagne devront restructurer leur dette souveraine : le Portugal a une dette extérieure colossale, renforcée par un déficit de croissance. En Espagne, l’implosion de la bulle immobilière, un taux de chômage à 25% et la nécessité de prolonger la dévaluation interne, ne laissent que peu de doutes. Quant à l’Italie, ses dirigeants espèrent éviter la restructuration, mais l’étude du WEO du FMI laisse peu d’espoir : comme la Grande-Bretagne de 1918-1939, l’Italie, même avec un large surplus budgétaire primaire, ne pourra pas réduire sa dette, à cause d’un potentiel de croissance proche de zéro et de la nécessité de restaurer une compétitivité dégradée.
Cette stratégie masquée de restructuration des dettes souveraines excessives entraînera plusieurs conséquences :
- Les investisseurs seraient bien avisés d’acheter de la dette espagnole ou italienne de moins de trois (qui sera senior), mimant ainsi la stratégie d’investissement de la BCE en cas de programme MES, et d’éviter leur dette plus longue.
- Contrairement à ce que disent les journaux allemands, le programme OMT ne sera pas inflationniste. Bien au contraire, les restructurations de dette auront un impact déflationniste (la BCE devra alors assouplir encore plus sa politique monétaire). Nos amis faucons allemands devraient être rassurés.
- En revanche, l’Europe va devoir se préparer à de fortes recapitalisations supplémentaires de ses banques. Et les assurances vont devoir constater de nombreuses pertes dans leurs investissements. Ce sont les institutions financières d’Allemagne et de France qui vont écoper le plus. Ce que les Allemands ne veulent pas payer par l’inflation (à bon droit), ils le paieront par des pertes majeures dans les investissements de leurs banques et assurances dans les pays périphériques de la zone euro.
- Après ces restructurations, les pays périphériques ne pourront plus emprunter par eux-mêmes sur les marchés.
- La dette Bleue que je préconise depuis longtemps se profilera alors : elle sera constituée, pour les pays périphériques, des emprunts auprès du MES/FESF, ainsi que des dettes « seniors » décrites ici (ainsi que des achats antérieurs de la BCE au titre du SMP). Elle sera le seul moyen pour les pays périphériques de continuer à emprunter (et de rester dans l’euro).
Cette stratégie implicite permet une restructuration « civilisée » des dettes souveraines de la périphérie : en effet, un défaut total de l’Espagne ou de l’Italie les forceraient à quitter l’euro, faisant ainsi s’effondrer la zone euro elle-même, mais une absence de défaut est économiquement impossible. La dette « senior » sera appelée à devenir ma dette Bleue et la dette « junior » ma dette Rouge. Aussi, pour éviter la faillite de l’Europe, organisons les faillites en Europe.
Jacques Delpla
NOTE :
(1) La BCE annoncé le 6 septembre, lors du lancement de l’OMT : « The Eurosystem intends to clarify in the legal act concerning Outright Monetary Transactions that it accepts the same (pari passu) treatment as private or other creditors with respect to bonds issued by euro area countries and purchased by the Eurosystem through Outright Monetary Transactions, in accordance with the terms of such bonds ».
La version originale de ce texte de Jacques Delpla a été publiée sur lesite web des Echos en date du 31 octobre 2012.
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Les fonds vautour sont des fonds d'investissements spéculatifs qui se spécialisent dans l'achat à bas prix de dettes émises par des débiteurs en difficulté ou proches du défaut de paiement, qu'il s'agisse de dettes d'entreprises ou de dettes souveraines, avec pour objectif de réaliser une plus-value soit lors de la phase de restructuration de la dette, soit en refusant la restructuration et en obtenant le remboursement intégral par action en justice 1.
Ces fonds ont par exemple racheté à très bas prix (20 % de sa valeur) de la dette argentine lors de la crise économique argentine des années 2000 et ont exigé un paiement immédiat, ce qui a provoqué la cessation de paiement de l'Argentine.
Ces fonds spécialisés dans le rachat à bas prix de créances sont souvent critiqués pour leur rôle dans l’« économie charognarde » mais leur activité peut se révéler utile lorsqu'elle est réglementée (clause d’attribution de juridiction étatique ou arbitrale, clause d'immunité de juridiction et d'exécution ou clause pari passu, développement de la notion de « dette odieuse2 »)3.
Nouvelle menace sur la dette argentine
latribune.fr | 23/11/2012, 10:54 - 260 mots
Un juge new-yorkais exige de l'Argentine le paiement de 1,3 milliards d'euros aux créanciers qui n'ont pas accepté la restructuration de 2002. Les nouveaux créanciers pourraient être mis à l'amende.
Revoici la menace du défaut argentin. Mercredi, le juge fédéral de New York, Thomas Griesa, a relancé la crainte sur la dette du pays sud-américain. Dans un jugement, il a en effet ordonné le paiement «immédiat» de 1,3 milliard de dollars aux investisseurs qui avaient refusé la restructuration de la dette argentine lors de son défaut de 2002. La réponse du ministre de l'Economie argentin Hernan Lorenzino n'a pas tardé: il a dénoncé le «colonialisme judiciaire» et a annoncé la volonté de Buenos Aires de combattre cette décision par tous les moyens.
Risque de défaut
Le juge a estimé qu'il y avait discrimination dans le traitement des créanciers de la république argentine. Il a donc ordonné un dédommagement pour les créanciers qui n'ont rien reçu depuis 2002. Le problème: si Buenos Aires ne se plie pas à cette décision, la cour peut bloquer le paiement des remboursements aux créanciers qui ont prêté de l'argent à l'Argentine en 2005 et 2010 afin de faire respecter son jugement. Le pays serait alors à nouveau en défaut.
«Pas un dollar»
Du coup, les marchés se sont inquiétés. L'écart de taux («spread») avec les Etats-Unis a bondi à son plus haut depuis trois ans. En Argentine, la presse, à l'image du quotidien La Nacion, s'inquiète déjà des «conséquences sur l'économie réelle» de la décision du juge Griesa, notamment sur l'inflation. Mais le gouvernement argentin reste ferme. La présidente Cristina Kirchner a invité son gouvernement à «ne pas verser un seul dollar» aux «vautours». Buenos Aires s'est dit décidé à épuiser tous les recours judiciaires américains et internationaux.
Définition de Pari passu - Lexique de finance
Pari passu voir le chapitre 26 du Vernimmen 2013 et les pages 519 et 909 du Vernimmen 2013)
Dans le cadre des conventions de crédit, les banques ont imposé le respect de certaines conditions. Le pari passu est une clause qui oblige l'entreprise à faire bénéficier le prêteur de toutes les garanties supplémentaires qu'elle sera amenée à donner lors de crédits futurs de même rang. Equivalent anglais : Pari passu covenant
La question du jour
Quand une société est cotée sur une place financière comme Paris et qu'elle désire être cotée à Londres par exemple : y a t-il création d'une nouvelle société dans le nouveau pays ?
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POINTS DE VUE
DE JACQUES DELPLA
Quand la BCE organise la faillite souveraine
La restructuration des dettes souveraines excessives en zone euro est pour bientôt : c'est la Banque centrale européenne qui va la déclencher. Comment ? Avec son programme de rachat de dettes souveraines (OMT -« outright monetary transactions ») annoncé en septembre. L'OMT est officiellement un mécanisme destiné à renforcer la liquidité des dettes souveraines via des rachats de dette par la BCE. Mais il est assorti d'une condition forte : le pays bénéficiaire doit signer un accord de réforme avec l'Europe (MES, Mécanisme européen de stabilité). C'est cette signature qui déclenchera la restructuration des dettes. Revenons à la jurisprudence des restructurations des dettes souveraines depuis soixante ans. Quand un pays pauvre fait appel au FMI et aux Etats riches pour surmonter une crise financière grave, il signe un accord avec le FMI, qui stipule les mesures correctrices à entreprendre. En échange, le FMI et les Etats riches lui prêtent des fonds en urgence. Si, quelques années après, il apparaît que le pays en détresse est incapable de rembourser ses dettes, alors sa dette souveraine est traitée au sein du Club de Paris. Là, les Etats créanciers coupent en deux la dette souveraine du pays en détresse : celle émise après la signature de l'accord FMI est considérée comme senior, intouchable et ne sera pas restructurée, celle émise avant l'accord FMI est considérée comme junior et sera restructurée - en général avec une très forte perte. Un point essentiel : tant que la dette n'est pas restructurée, toutes les créances sont égales (« pari passu »), la différenciation des dettes n'intervient qu'après leur émission, lors du constat d'insolvabilité du pays en crise : il y a une redéfinition ex post de la nature des dettes, et c'est accepté par tous, même si cela déroge au droit commun des dettes.
C'est la même histoire en zone euro, il suffit de changer les noms : l'accord FMI devient l'accord MES avec l'Europe, le FMI devient la BCE, le pays pauvre en détresse devient l'un des pays périphériques de la zone euro avec trop de dette et un manque de compétitivité (Espagne, Italie...). Supposons que l'Espagne signe un accord MES avec l'Europe le 1 er janvier 2013. La BCE va lui prêter des fonds sous forme de rachat de dette souveraine sur le marché. En cas de constat d'insolvabilité de l'Espagne, on appliquera la jurisprudence du Club de Paris : toutes les dettes émises après le 1 er janvier 2013 (dont celles achetées par la BCE) seront seniors et ne seront pas touchées. Les dettes émises avant seront restructurées, c'est-à-dire qu'elles seront mises en défaut et leur valeur fortement diminuée. Cette démarche serait complètement conforme à la jurisprudence internationale du Club de Paris. Ensuite, elle permettrait à la BCE d'éviter toute restructuration de ses créances sur l'Espagne au titre de l'OMT : c'est essentiel car tout abandon de créance de la BCE sur l'Espagne serait considéré comme un financement par la BCE du déficit espagnol, ce qui est littéralement interdit par le traité européen.
En pratique, dans deux ou trois ans, la BCE constatera que la dette souveraine espagnole émise après la signature du programme MES approchera bientôt de la limite des 60 % du PIB (maximum du traité de Maastricht). Pour protéger ses propres créances, elle signifiera qu'elle n'achètera plus de cette dette senior au-delà de la limite des 60 %. Le gouvernement espagnol, insolvable, sera alors forcé au défaut sur sa dette junior et la restructurera en changeant la loi qui gouverne ses obligations souveraines émises en droit espagnol (ce qui est son droit). L'Espagne pourra toujours émettre de la sa dette senior jusqu'à 60 % du PIB.
Cette solution permet une restructuration « civilisée » de la dette espagnole : en effet, un défaut total de l'Espagne la forcerait à quitter l'euro, faisant ainsi s'effondrer la zone euro elle-même, une absence de défaut est économiquement impossible. La dette senior sera appelée à devenir ma dette « bleue » et la dette junior ma dette « rouge ». Pour éviter la faillite de l'Europe, organisons les faillites en Europe.
Jacques Delpla est professeur chargé de cours à l'Ecole d'économie de Toulouse.
Pari passu, pas vu pas pris, la BCE et le mur
Alors…, Vous avez vu ? L’euro est sauvé. Et c’est Mario Draghi qui l’a fait. Nicolas Sarkozy, le fameux sauveur de la zone euro peut aller se rhabiller. Ne parlons même pas de François Hollande et de son volet de croissance, ni d’Angela Merkel et de son austérité. Tous des petits joueurs. Il aura suffi que super Mario fasse quelques déclaration hier pour que la solution tant attendue soit enfin dévoilée. Paf ! Une annonce de rachat de dette sans limite, le conditionner à de l’austérité et hop, les marchés jubilent. Enfin « rassurés ». Les marchés action sont au beau fixe, les taux des pays visés par l’annonce, l’Espagne et l’Italie, baissent. Bref, une réussite sur toute la ligne. Notez que même la presse française salue l’immense réussite de l’ancien vice président de la branche européenne de Goldman Sachs. C’est dire.
Reflets a obtenu une interview exclusive du professeur Philippulus, expert international qui a une vision un peu divergente.
- Reflets : Professeur, vous semblez peu optimiste à propos des décisions annoncées hier. Pourquoi ?
C’est le châtiment ! Faites pénitence ! La fin des temps est venue ! Oui, nous aurons la peste ! … Et le Choléra !… Et ce sera la fin du monde valet de Satan !
– Oui, bon…, mais nos lecteurs attendent des explications plus précises, Professeur…
Commençons par le concept du rachat de dette des pays en difficulté.
D’une part, les dernières tentatives de ce genre n’ont pas fonctionné, d’autre part, c’est un message terrible envoyé aux pays en question : vous avez vécu à crédit, vous allez pouvoir continuer.
- Mais cette fois c’est différent, ces rachat seront conditionné à des programmes d’austérité !
Les programmes d’austérité étaient mis en place avant. L’Italie et l’Espagne les ont démarré avant l’été. Plus d’austérité ne fera que freiner un peu plus une croissance déjà en berne. Pas de croissance, pas de recettes fiscales. Pas de recettes fiscales, pas d’assainissement des comptes. Pas de baisse de l’encours de la dette. La seule chose qui est certaine avec ces programmes façon FMI des années 80, ce sont des troubles sociaux très sérieux dans quelques temps.
Par ailleurs, accepter des mesures d’austérités comme annoncé va probablement impliquer des décisions au sein des parlements de ces pays. Et cela va décaler le début des opérations. Attendez que les marchés aient intégré cette donnée et vous verrez les taux de ces pays repartir en flèche.
- Vous êtes très négatif, Professeur. Cette fois, la BCE a lancé un message fort avec la séniorité !
Le fait d’opter pour le Pari Passu et donc de renoncer à son statut de senior bondholder ne fait qu’aggraver la situation, à terme. Premier point, cela implique que si l’Espagne fait défaut (et/ou l’Italie) ou si la dette de ces pays est restructurée, la BCE verra ses actifs terriblement dépréciés. La « stérilisation », c’est bien joli mais je n’y crois pas vraiment dans le cas qui nous occupe. Notez que les pays de la zone son ses « actionnaires ». Qui paiera pour renflouer la BCE ? Les contribuables. S’ils le peuvent encore. Bon courage… En d’autres termes, pour que vous compreniez bien, on va faire payer aux citoyens les conneries des politiques, des financiers, des ultra libéraux. Le surendettement, que ce soit pour le secteur privé ou le secteur public, ça finit toujours de la même manière. On ne peut plus rembourser. Emprunter pour rembourser de la dette, c’est ridicule.
Deuxième point, lors des rachats de dette précédents, comme pour la Grèce, ceux-ci se faisaient avec un statut de séniorité. Du coup la Grèce, en cas de pépin, risque bien d’expliquer que ce que l’on fait pour l’Espagne, on doit le faire pour elle. Bien entendu, ce ne sont pas les mêmes marchés (dette primaire et secondaire), mais même si le droit permet, en toute logique, que les traitements soient différents, la Grèce ne se privera pas de pousser ses pions.
– Vous êtes un oiseau de mauvaise augure et en plus, les faits vous donnent tort ! Les taux espagnols ont baissé !
Et ? Vous trouvez que c’est une réussite une baisse de 6,6% à un peu moins de 6 % du dix ans ? L’Espagne ne s’en sortirait pas même avec une baisse très importante de ses taux long terme. Éviter un défaut, gagner du temps (encore et toujours), c’est possible avec la jolie monétisation de la dette décidée par Mario Draghi. Régler les déséquilibres macro économiques existants, c’est impossible. C’est tout le mécanisme annoncé hier et les pseudos solutions énoncées auparavant qui reposent sur des fondations bancales. Croyez-vous qu’il soit logique d’appliquer les mêmes « remèdes » (la même politique monétaire) à des pays ayant des environnement macro économiques aussi différents ? Tout ça ne peut que mal finir. C’est le châtiment ! Faites pénitence ! La fin des temps est venue ! Oui, nous aurons la peste ! … Et le Choléra !… Et ce sera la fin du monde valet de Satan !
- Reprenez-vous Professeur…
Vous avez raison, je m’égare. Revenons à la baisse des taux hier :
Elle est belle la baisse, hein ?
Attendez, prenez du recul pour avoir une meilleure vue.
Avec l’annonce d’hier, on atteint le niveau de mai dernier, soit à peine trois mois en arrière… Vous noterez par ailleurs que le dernier sommet de la dernière chance (Hollande-Merkel) du 29 juin 2012 – que tout le monde avait salué positivement, a eu un effet mitigé sur les taux espagnols à 10 ans.
L’Espagne est encore un peu loin des 3%, en dépit de 21 sommets de la dernière chance et de l’annonce d’hier par Mario Draghi. Temps de vie de l’annonce de Draghi ? Hum… Ajoutez à tout cela que le rachat de dette sur le marché secondaire est conditionné à l’acceptation par l’Espagne et l’Italie de nouvelles mesures d’austérité. Ce qui allonge le processus de déclenchement des achats. Que se passera-t-il entre aujourd’hui et … début octobre au plus tôt ? Et puis appeler les pays à faire fonctionner le FESF et le MES (qui n’existe même pas encore)… Coucou Mario, l’Espagne est l’un des principaux contributeur de ces fonds. Vu son état… En même temps, il y a de la logique à faire sauver le mourant par… le mourant…
- Attendez Professeur, même Christine Laboulette Lagarde a dit que c’était une annonce formidable : « We see the ECB’s action as an important step toward strengthening stability and growth in the Euro Area.« …
« une étape importante vers le renforcement de la stabilité et de la croissance dans la zone euro » ?
Voyons voir… Hier Mario Draghi a dit lui même : « Au-delà du court terme, nous nous attendons à ce que la reprise de l’économie de la zone euro n’intervienne que très graduellement. La dynamique de la croissance devrait rester freinée par le nécessaire processus d’ajustement des bilans dans les secteurs financier et non financier, par l’existence d’un chômage élevé et par une reprise irrégulière. » « La croissance économique dans la zone euro devrait rester faible avec les tensions persistantes sur les marchés financiers et l’incertitude renforcée qui pèsent sur la confiance et le sentiment. L’intensification renouvelée des tensions sur les marchés financiers peut potentiellement affecter l’équilibre des risques sur la croissance et l’inflation. »
Quant aux économistes du Fonds Monétaire International que « dirige » Mme Christine Laboulette Lagarde, ils ont abaissé leurs perspectives de croissance le 16 juillet dernier, notamment pour la zone euro (voir page 6, 7 et 8 notamment).
En résumé, je vous annonce que des jours de terreur vont venir!… La fin est proche!… Tout le monde va périr!… Et les survivants mourront de faim et de froid!… Et ils auront la peste, la rougeole et le choléra!…
- Merci professeur. vous pouvez remettre votre camisole. L’interview est finie.
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