Le nouveau gouvernement bruxellois entend faire basculer une partie des impôts sur le travail vers la fiscalité immobilière. Une annonce qui a effrayé les propriétaires. Mais s’ils paient leurs impôts à Bruxelles, ils seront plutôt gagnants. Explications.
La déclaration gouvernementale des partis associés pour gérer la Région bruxelloise ces cinq prochaines années a provoqué un petit vent de panique dans la classe moyenne bruxelloise. Voici donc le grand méchant loup que tous les propriétaires craignaient depuis le début de la crise: une hausse de la fiscalité immobilière.
À bien y regarder, les mesures annoncées pour 2017 ne sont peut-être pas si douloureuses que ça, et devraient même pleinement profiter aux Bruxellois, certainement à ceux qui travaillent. Mais de quoi parle-t-on au juste?
Le grand shift fiscal
On l’aura compris, le grand principe de cette réforme est de déplacer le centre de gravité fiscal du travail vers la propriété immobilière. Comment? En supprimant purement et simplement la taxe forfaitaire régionale (recettes annuelles brutes: 30 millions d’euros) et le pourcent de centimes additionnels appliqués sur l’impôt sur les personnes physiques (IPP) au profit de "l’agglomération bruxelloise" (34 millions d’euros). À la place, on augmente la part de la Région bruxelloise dans le précompte immobilier (actuellement 130 millions d’euros).
Logiquement de 64 millions d’euros pour que l’opération reste neutre d’un point de vue budgétaire. Mais c’est sans compter sur des effets retour et d’efficience… Voyons ces trois postes de plus près.
La taxe déchets à la poubelle
La taxe forfaitaire de 89 euros demandée depuis des lustres à chaque ménage bruxellois (appelée aussi "taxe déchets") était très contestée. Et franchement contestable. Sur 30 millions d’euros perçus par la Région pour la soutenir dans ses tâches ménagères, plus de 5 millions (soit près de 20%) étaient absorbés par sa perception (une cinquantaine de contractuels, des bureaux, des coûts informatiques et de téléphone, des huissiers, des avocats etc.).
Elle comprend aussi tellement d’exceptions que seul un ménage bruxellois sur deux la paie. Ainsi le couple richissime mais qui a trois enfants en est dispensé. De même que le diplomate. Et bien entendu toutes les personnes à faible ou sans revenu. De sorte que seule la classe moyenne paie aujourd’hui cet impôt.
Les additionnels "agglo" à la trappe
Au nom de la défunte "agglomération bruxelloise", ceux qui travaillent rendent par ailleurs 1% de leurs revenus imposables à la Région, là où chacune des 19 communes, sur le même principe d’une taxe additionnelle perçue puis rétrocédée par l’État fédéral, en ponctionnent de 6 à 7,5%.
Pour un couple qui gagne 100.000 euros brut par an, ou 2.500 euros net par mois et par conjoint, cette taxe "agglo" représente 450 euros par an. S’il habite Uccle par exemple (6% d’impôt sur l’IPP), ce couple paiera aussi 2.400 euros d’impôts supplémentaires à sa commune, soit un surplus total de 2.850 euros qui fait monter le taux d’imposition global à 45% au lieu de 42% au départ (précompte professionnel etc.)
Cette taxe "agglo" n’est pas non plus des plus efficientes. Les professions libérales comme les médecins et les avocats se mettent le plus souvent en société pour ne se verser qu’un salaire limité afin d’optimaliser leur charge fiscale globale. De leur côté, les diplomates et fonctionnaires internationaux ne paient tout bonnement pas d’IPP… Ce qui fait que sur 20 ans, la taxe "agglo" a progressé moins que l’indexation, explique le député Emmanuel De Bock (FDF). Il avait, avec Didier Gosuin (négociateur FDF), déposé il y a un an une proposition de règlement qui ressemble furieusement aux mesures annoncées par le futur gouvernement bruxellois.
Boom immobilier, boom du précompte
Tout le contraire des recettes du précompte immobilier qui, elles, ont été multipliées par 7 ces 20 dernières années! Pour répondre à la demande de logement, des immeubles ont été construits, rénovés, divisés… De sorte que cet impôt totalise aujourd’hui 650 millions d’euros, soit 565 euros par habitant.
Mais seule une petite partie de cet impôt — pourtant régional — revient à la Région: si le précompte immobilier payé par notre couple ucclois s’élève à 1.000 euros, 800 euros partent en fait vers les caisses de leur commune et moins de 200 euros seulement vers la Région. Cette part communale varie entre 70% (Auderghem) et 85% (Jette et Schaerbeek).
La formule magique
Pour compenser la perte de 64 millions sur les deux premières taxes, il faudra faire passer les recettes régionales issues du précompte immobilier de 130 à 164 millions, et donc les recettes globales de cet impôt à 714 millions. Cela représente une hausse de 10% ou 100 euros dans notre exemple du couple ucclois. Celui-ci aura donc gagné 450 euros sur le travail et perdu 100 euros sur son patrimoine immobilier, soit un gain annuel net de 350 euros.
Cela sans compter les gains d’efficacité (frais de perception de la taxe déchet notamment) et des effets retours, estimés il y a un an à entre 30 et 40 millions d’euros après 3 ou 4 ans (assiette fiscale plus large, incitation au travail etc.).
Si ces effets se réalisent sans accroc, la hausse d’impôt sur le foncier pourrait alors se limiter à 5% (50 euros pour le couple). Un montant somme toute modeste si on le compare, par exemple, au prix d’un certificat énergétique (PEB) pour mettre un bien en location (200 euros minimum).
Mais alors qui va in fine payer la facture de ce tour de passe-passe? "Les eurocrates, les exilés fiscaux français et autres, les propriétaires immobiliers qui n’habitent pas Bruxelles et un peu les entreprises propriétaires de leurs murs mais celles-ci pourront continuer à déduire cette charge", relève le député FDF. Et bien entendu, les multipropriétaires.
Un cadastre bruxellois?
Une autre phrase de la déclaration de politique gouvernementale en a peut-être fait frémir certains: "Le Gouvernement entend également avancer vers la constitution d’une base de données patrimoniales immobilières par le croisement du cadastre, de la carte des affectations urbanistiques (Urbis), des données urbanistiques des communes (CityGis) et des données du Registre national".
Un parti flamand associé au nouveau gouvernement assure toutefois qu’il n’est pas question d’établir un cadastre immobilier en Région bruxelloise. "Non, ce n’est pas nécessaire. Mais il y a des abus que nous souhaitons contrôler de façon plus stricte, comme la division non conforme de maisons unifamiliales en immeubles de rapport ou des montants de revenu cadastral insignifiants pour des raisons historiques".
Certaines communes ont mis le paquet sur ce genre d’aberrations. Comme à Jette, où on s’est rendu compte que 15% des logements n’étaient officiellement dotés… d’aucune salle de bain!
Pour rappel, le cadastre et l’établissement du revenu cadastral (une des variables pour la déclaration à l’IPP) restent une compétence fédérale mais un fonctionnaire du cadastre est rattaché à chaque commune.
Pas question non plus, d’après notre source, d’actionner la base de données "baux enregistrés", qui dort au ministère de la Justice et dont on disait qu’elle portait les germes d’un véritable cadastre des fortunes (immobilières) en Belgique.
Bonus logement: on continue
Une autre interrogation qui intéresse les propriétaires et surtout les futurs propriétaires: qu’adviendra-t-il du fameux bonus-logement, transféré aux entités régionales? Une phrase de 2 lignes dans ce document de 89 pages devrait plus ou moins les rassurer: "La déductibilité fiscale "prêt logement" sera maintenue. Par ailleurs, une évaluation générale du mécanisme sera effectué".
Autrement dit, on ne touchera pas tout de suite à ce mécanisme qui coûtait tout de même 2 milliards d’euros par an à l’État fédéral, mais il est impossible de dire de quoi (après-) demain sera fait.
Il est notamment question de permettre de remplacer cet avantage fiscal par une réduction des droits d’enregistrement à l’achat d’un bien. Et, de façon générale, de réduire les droits d’enregistrement pour ceux qui s’installeraient durablement dans la Région, via des modalités "peu formalistes et intelligibles", promet la déclaration de politique régionale.
Mais ces questions attendront probablement la fin de la période d’observation (d’ici 2017) pour ne pas jouer les apprentis sorciers: les transactions immobilières rapportent tout de même la bagatelle de 500 millions d’euros à la Région bruxelloise en droits d’enregistrement.
Par ailleurs, il est acquis que les critères du Fonds du Logement seront assouplis afin de faciliter l’accès des jeunes et des classes moyennes à la propriété, notamment via le relèvement de la limite d’âge de 35 à 40 ans pour bénéficier d’un crédit "Booster".
Allocation-loyer contre encadrement
Une autre Arlésienne: l’encadrement des loyers. Plusieurs fois annoncé, jamais appliqué, le blocage des loyers devrait se concrétiser mais uniquement dans le cadre d’allocations-loyer. Tout le monde s’y retrouve puisque l’allocation-loyer, destinée à compléter le loyer d’une personne dont les revenus sont trop faibles, était une revendication des propriétaires.
En pratique, les locataires éligibles devront demander une allocation par l’intermédiaire de leur commune. Le loyer payé par le locataire correspond au montant inscrit dans le contrat de bail dont est déduit le montant de l’allocation loyer.
Comme pour les agences immobilières sociales, des grilles tarifaires de référence seront donc établies.
Ce qui signifie que des fonctionnaires contrôleront le montant des loyers demandés, la qualité de l’habitat, les conditions d’accès du locataire allocataire etc.
Par ailleurs, les grilles de référence de loyers indicatives seront "mises à disposition à titre informatif des locataires en tenant compte du profil socio-économique des Bruxellois, croisé avec les caractéristiques du logement, de l’état du bien comme de sa localisation".
Faciliter les donations mais sans abus
Enfin, l’accord politique annoncé la semaine passée entend faciliter les donations d’entreprises et de patrimoine. Il promet des "règles claires" et "un régime fiscal attractif" à concrétiser.
En revanche, la Région luttera contre "toutes sortes de constructions mises en place pour éluder les droits de succession et de donation". Dans son viseur entre autres: les immeubles donnés "en tranche" (tous les 3 ans, et pour autant que le donateur ne décède pas) afin d’abaisser le taux d’imposition global sur la donation. Ou la cession d’immeuble sous forme d’actions de société afin de payer moins d’impôt.
En contrepartie, le gouvernement bruxellois promet de "progressivement et équitablement réduire les droits de succession et de donation".Wait and see.
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