Numéro coordonné par Renaud Lambert et Pierre Rimbert
Lire le compte rendu de ce numéro, paru dans Le Monde diplomatiqued’octobre 2011, par Laurent Cordonnier.
« Le casse du siècle »
par Laurent Cordonnier, octobre 2011
Ce n’est pas au moment où un nouveau cyclone financier s’apprête à balayer nos côtes, se diront certains, que l’on se met à lire un traité sur les cyclones. L’urgence : se barricader, sauver ce qui peut l’être. Et pourtant, les heures sont parfois longues avant la dévastation, et un bon fascicule sur les tourbillons de la finance peut aider à patienter… et à comprendre. Car c’est bien ce qu’offre cette dernière livraison deManière de voir (1), qui regroupe une vingtaine d’articles parus dans Le Monde diplomatique entre 1990 et 2011, auxquels s’ajoutent six textes inédits.
On refait ainsi l’itinéraire de l’ouragan, en suivant, avec Nicolas Guilhot, cette génération de « jeunes-turcs » de la finance, venus de la roture, et renversant les pratiques prudentes et policées de l’ancienne aristocratie bancaire, pour prospérer sur tous les terrains de jeu qu’offre la finance dérégulée. On s’invite, avec Ibrahim Warde, dans les retroussements de la pensée économique, qui a commencé par supposer, dès les années 1960, que les marchés financiers étaient « efficients », et qui en a déduit tout le reste. Une théorie dont le mathématicien Benoît Mandelbrot disait que les financiers y sont très attachés parce qu’il s’agit d’une doctrine « d’une simplicité merveilleuse, que l’on peut apprendre en quelques semaines et dont on peut vivre ensuite toute sa vie ». Une pensée en congruence avec son objet, en quelque sorte. On redécouvre, avec les articles de Christian de Brie, de Jean-Louis Conne et d’Alain Astaud, que si l’argent des banques n’a pas d’odeur, il a quelquefois des relents d’opium ou de poudre blanche. Voire de sang.
On se convaincra à nouveau, sous la plume de Denis Robert, que la presse financière — et la presse en général — n’est jamais pressée de se ranger du côté de ceux qui dénoncent les turpitudes de la finance, même lorsque la justice leur donne enfin raison. On s’inquiétera, avec Dominique Plihon, de ce que les tentatives de « régulation » de l’industrie financière ne dépassent guère quelques timides efforts de normalisation, si bien que la régulation elle-même repose sur« l’autocontrôle que les banques doivent exercer sur elles-mêmes et la discipline que le marché est supposé exercer par le biais de la concurrence ». Et l’on mesurera le temps perdu, en relisant, sous la plume de Frédéric Lebaron — l’article date de 1998 —, cette conclusion : « Peut-on vraiment attendre d’eux [les banquiers centraux] la grande réforme financière internationale qui permettrait d’asseoir une croissance économique écologiquement et socialement plus juste ? Cette réforme nécessaire, Keynes l’avait imaginée en son temps, mais la plupart des responsables, y compris socialistes ou sociaux-démocrates, l’ont oubliée. Elle suppose de remettre en cause trop d’intérêts établis — en premier lieu la liberté des spéculateurs. »On comprend que l’éditeur ait éprouvé le besoin de fermer l’opuscule sur une lueur d’espoir, en confiant à Frédéric Lordon le soin d’esquisser un autre chemin : « Pour un système socialisé du crédit ».
Laurent Cordonnier
Economiste, auteur de L’Economie des Toambapiks et de Pas de pitié pour les gueux, Raisons d’agir, Paris, respectivement 2010 et 2000.
(1) Manière de voir, n° 119, « Le casse du siècle », octobre-novembre 2011, 7,50 euros, disponible en kiosques et sur la boutique en ligne.
Lexique
Bâtisseurs de ruines
Pierre Rimbert
Pierre Rimbert
I. Alchimistes du guichet
Derrière les façades centenaires des institutions de Wall Street, de Londres, de Paris ou de Hongkong, un nouvel ordre bancaire s’est mis en place imperceptiblement au milieu des années 1970. Les fondements du commerce de l’argent codifiés après le krach de 1929 pour les besoins du capitalisme industriel se sont effrités, puis ont explosé, sous la poussée d’une force brute nommée finance. En moins d’une décennie, les frontières nationales et les chaînes législatives qui reléguaient les établissements de crédit au troisième rang économique derrière les Etats et les grandes entreprises ont tour à tour été brisées. Le marché planétaire appelait un système bancaire global.
Ce nouvel ordre dispose d’outils, d’agents, d’institutions et de régulations spécifiques. Dans les bureaux haut perchés, le jeune loup au costume clinquant a évincé l’homme gris et son sous-main de cuir ; des instruments d’une sophistication inédite, des tactiques florentines, des profits himalayens ont supplanté le ronron du prêt à intérêt garantissant une marge de 3 % ; l’informatique et les mathématiques ont aboli l’espace et le temps des transactions.
En Europe, la politique monétaire, rouage central du gouvernement économique, fut soustraite au monde politique et placée sous le contrôle d’une Banque centrale « indépendante », c’est-à-dire proche des milieux d’affaires. Après quatre ans de tempête financière, un regard sur les ruines de l’économie mondiale inspire une question qui peut sembler triviale : au fait, à quoi devaient servir les banques ?
Une galerie de voyous respectables
Nicolas Guilhot
Nicolas Guilhot
D’où viennent les produits dérivés ?
Ibrahim Warde
Ibrahim Warde
Néoconquistadors
Pedro Ramiro
Pedro Ramiro
HSBC, histoire d’eau et d’opium
Jean-Louis Conne
Jean-Louis Conne
Les banquiers centraux, pompiers pyromanes
Frédéric Lebaron
Frédéric Lebaron
Protéger le « mur de l’argent »
Serge Halimi
Serge Halimi
L’absurde statut de la Banque centrale
John Grahl
John Grahl
Pour quelques milliards de plus
Paul Lagneau-Ymonet et Angelo Riva
Paul Lagneau-Ymonet et Angelo Riva
Leçons d’histoire financière
P. L.-Y. et A. R.
P. L.-Y. et A. R.
Infortunes des normes internationales
Dominique Plihon
Dominique Plihon
II. Une emprise tentaculaire
Que la faillite, en septembre 2008, d’une seule entreprise, Lehman Brothers, ait pu conduire le monde au bord du gouffre indique assez la centralité des banques dans la vie économique. Que celles-ci aient ensuite forcé les Etats à échanger leurs dettes « pourries » contre de l’argent frais (c’est-à-dire contre le travail) du contribuable suggère cette fois l’ampleur du problème : le rouage a domestiqué la machine, le moyen s’est métamorphosé en fin.
A cela rien d’étonnant. Au gré de leur expansion, les banques ont projeté dans tous les domaines de l’activité humaine leur logique (celle du crédit et du profit), leurs intérêts (les anciens de Goldman Sachs hantent les coulisses de Washington), leurs pratiques (celles du jeu spéculatif) et leurs produits (ô les dettes douteuses titrisées et dispersées aux quatre vents !). Qui veut remonter aux racines d’une crise immobilière en Espagne, d’une opération de blanchiment en faveur d’un dictateur chilien, de l’endettement de pauvres au Bangladesh tombe à coup sûr sur une banque ; l’enquêteur qui cherche à démêler les pratiques opaques d’une chambre de compensation luxembourgeoise tombe en revanche sur un os…
Les présidents américains passent, Goldman Sachs demeure
I. W.
I. W.
Un réseau serré d’amitiés haut placées
I. W.
I. W.
La Riggs, blanchisseuse de dictateurs
Alain Astaud
Alain Astaud
« Mon cher général Pinochet... »
A. A.
A. A.
La machine sacrée
Yves Jeanneret et Emmanuël Souchier
Yves Jeanneret et Emmanuël Souchier
Complicités dans le trafic de drogue
Christian de Brie
Christian de Brie
Pauvres, votre argent les intéresse
Jean-Loup Motchane
Jean-Loup Motchane
A Madrid, des vies « sous hypothèque »
Raúl Guillén
Raúl Guillén
« Ma victoire dans l’affaire Clearstream »
Denis Robert
Denis Robert
III. L’ère du parasitisme
Economie de spéculation contre économie de production : c’est l’Annapurna contre les causses du Larzac. D’un côté, la valeur des produits dérivés fabriqués par les banques vole vers les cimes ; de l’autre, la richesse mondiale trace sa courbe débonnaire, plafonnée à un niveau dix fois moindre (voir « Production et spéculation »). Problème : les titres spéculatifs les plus alambiqués reposent en dernier ressort sur des actifs bien réels, comme la tique sur le dos de sa proie. Quand crève la bulle du capital fictif, ce ne sont pas les parasites mais les peuples qui écopent.
Le tour de passe-passe n’a pas échappé aux Islandais, mis en demeure de rembourser une ardoise vertigineuse laissée par les banquiers. Consultés par référendum, ils ont par deux fois dit « non ». On imagine sans peine le résultat d’un tel scrutin organisé en Grèce, en Irlande, en Espagne, au Portugal, en Italie, bref dans tous les pays où la collectivisation de la dette bancaire privée se traduit par l’austérité publique.
Si les populations ainsi rançonnées se défient des acrobaties financières, le petit milieu des économistes, courtiers et analystes semble n’avoir rien appris. Serait-ce parce qu’il n’a rien encouru ? Après la faillite des caisses d’épargne américaines à la fin des années 1980, des centaines de responsables avaient fini derrière les barreaux. Cette fois, les aigrefins qui pilotent les institutions faillies ont exposé leurs turpitudes devant des commission parlementaires. Puis ils ont repris leurs affaires.
Les Islandais votent contre les banquiers
Silla Sigurgeirsdóttir et Robert Wade
Silla Sigurgeirsdóttir et Robert Wade
Primes et châtiments des traders
I. W.
I. W.
Tout travail mérite-t-il salaire ?
P. R.
P. R.
Lumière dans la salle des coffres
Juliette Renaud et Juliette Rousseau
Juliette Renaud et Juliette Rousseau
L’exemplaire faillite des caisses d’épargne américaines.
Jacques Decornoy
Jacques Decornoy
Comme si rien ne s’était passé..
I. W.
I. W.
Les marionnettes politiques et leurs bienfaiteurs
S. H.
S. H.
Pour un système socialisé du crédit
Frédéric Lordon
Frédéric Lordon
Ce numéro est accompagné de photographies tirées de l’ouvrage « Détroit, vestiges du rêve américain », d’Yves Marchand et de Romain Meffre (éditions Steidl, Göttingen, Allemagne).
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