Les côtés obscurs de la dévaluation de 1982
jeudi 15 mars 2012 à 00h00
Trente ans après la dévaluation de 1982, il est aisé d'en louer les aspects romantiques, fondés sur le consensus de quatre hommes qui, conscients de l'état catastrophique de l'économie belge, eurent la lucidité de dégager un choix qui fut salvateur. Ce furent les quatre du groupe de Poupehan qui, en dehors de tout cadre institutionnel, conduisirent, contre l'avis du gouverneur de la Banque nationale de Belgique, le pays, le week-end du 22 février 1982, à dévaluer le franc belge de 8,5 % par rapport au deutsche mark, et ce à la fureur légitime des autorités luxembourgeoises, tenues à l'écart des discussions malgré la liaison des francs belge et luxembourgeois.
Cette dévaluation fut discutable dans le processus démocratique qui la fit aboutir. Elle n'en fut pas moins cohérente dans sa décision et l'application de ses mesures annexes, tel le blocage des prix et des salaires qui était destiné à empêcher une poussée d'inflation. En effet, l'avantage d'une dévaluation est qu'elle stimule les exportations. Son inconvénient est qu'elle véhicule l'inflation des importations libellées dans une devise étrangère. Il était donc indispensable de contrôler les prix afin que la dévaluation de 1982 ne contribue pas à souffler sur les braises de l'état déplorable de l'économie belge caractérisée par la stagflation.
Aveu d'échec
Pourtant, cette dévaluation de 1982 reste la révélation d'un échec de l'économie belge et ce, à plusieurs titres. Ce fut un échec parce qu'une dévaluation est la confession de l'incapacité d'une économie à rester compétitive. Mais, plus fondamentalement, elle révéla un problème d'endettement public. De nos jours, lorsqu'on s'interroge sur les origines de cette dette, la première réponse qui fuse est la crise financière. L'explication est politiquement commode, mais incorrecte. Elle relève même de l'imposture intellectuelle. Ce ne sont pas les sauvetages bancaires récents qui ont créé la dette. Ils l'ont tout au plus rappelée à nos esprits.
L'endettement public est né dans les années 1970. Libérés du carcan monétaire des accords d'après-guerre, les gouvernements européens ont tenté de camoufler la mutation de nos économies à coups de grands travaux keynésiens, croissance et alourdissement des administrations, transferts sociaux, aides publiques et autres soutiens à l'économie, des instruments encore largement répandus de nos jours.
A l'époque, l'Europe sortait de trois décennies de croissance, fertilisées par la reconstruction industrielle et le plan Marshall. On a aussi institutionnalisé un indispensable système de protection sociale, intégrant un mécanisme de pension avantageux, et fondé sur un principe de collectivisation des coûts, cohérent avec notre trame de civilisation, qui a trouvé dans les théories keynésiennes un alibi à l'indiscipline budgétaire.
Fondations instables
Cette architecture sociale a été construite sur des fondations instables. Elle aurait pu fonctionner si deux conditions avaient été remplies : d'une part, une économie et une démographie en croissance, et d'autre part, une espérance de vie stable. En 30 ans, tout a basculé : les crises économiques se sont succédé, la population a vieilli et l'espérance de vie s'est extraordinairement allongée. Par pusillanimité ou aveuglement politique, l'Etat-providence s'est alors transformé en gigantesque cavalerie financière conduisant à une croissance astronomique de la dette publique. C'est même plus grave : au lieu de promouvoir un système de stimulation économique, l'Etat belge a probablement découragé l'initiative personnelle.
La dette publique a déjà pris des proportions stratosphériques. La crise financière lui a largement fait passer le cap des 350 milliards d'euros autour desquels elle avait été stabilisée (à monnaie constante) depuis le milieu des années 1990. Mais à cette dette bien comptabilisée, il convient d'ajouter une dette diffuse, «hors bilan», celle du coût des pensions et du vieillissement de la population.
En Belgique, à la dette existante correspondant à une année de PIB, vient s'ajouter un coût des retraites et soins de santé futurs d'environ une demi-année de PIB pour un total d'à peu près 500 milliards d'euros. Cela représente 50.000 euros par habitant et correspond à 100.000 euros par personne active. Sauf à imaginer que l'argent devienne une abstraction, il faut admettre que 50.000 ou 100.000 euros, c'est vraiment beaucoup. Et c'est pour cela que, 30 ans après la dévaluation de 1982, on aurait dû, en 2012... dévaluer notre monnaie, ce qui est devenu impossible.
Février 1982 : la dévaluation !
Ce furent les quatre du groupe de Poupehan qui, en dehors de tout cadre institutionnel, conduisirent, contre l’avis du Gouverneur de la Banque Nationale de Belgique, le pays, le week-end du 22 février 1982, à dévaluer le franc belge de 8,5 % par rapport au Deutsche Mark, et ce à la fureur légitime des autorités luxembourgeoises, tenue à l’écart des discussions malgré la liaison des francs belges et luxembourgeois.
Cette dévaluation de 1982, nécessaire pourtant, resta la révélation d’un échec de l’économie belge et ce, à plusieurs titres. Ce fut un échec parce qu’une dévaluation est la confession de l’incapacité d’une économie à rester compétitive, surtout par rapport à son principal partenaire économique et voisin, l’Allemagne.
C’est aussi un échec de devoir utiliser l’arme monétaire pour stimuler une économie, alors qu’une dévaluation ne modifier que les rapports monétaires sans améliorer les capacités de productions. Ce fut aussi l’échec d’un modèle de gouvernement des années septante qui dû conduire au vote des pouvoirs spécieux du gouvernement Martens-Gol afin de sirtir le pays de ses oscillations politiques et erreurs de jugement.
Mais, plus fondamentalement, la dévaluation de 1982 révéla un problème d’endettement public. Ce dernier est né dans les années septante. A l’époque, l’Europe émergeait de trois décennies de croissance, fertilisées par la reconstruction industrielle et le plan Marshall.
Libérés du carcan monétaire des accords d’après-guerre au moment des premiers chocs pétroliers de 1973 et de 1979, les gouvernements européens tentèrent de camoufler la mutation de leurs économies à coups de transferts sociaux, d’aides publiques et autres soutiens à l’économie, sans se réserver de gisements fiscaux suffisants ni anticiper les tendances démographiques des décennies qui suivraient.
Aujourd’hui la plupart des acteurs de la dévaluation de 1982 sont retraités ou décédés. Ils avaient sans doute eu raison. Mais, en même temps, ils symbolisent une Belgique d’avant, celle qui, par pusillanimité, manque de vision ou répétitions de scénarios, n’avait pas compris que le monde abandonnait l’économie industrielle pour se plonger dans l’économie des services. Cette erreur de jugement coûta tellement cher à la Belgique qu’elle continue à en payer les conséquences, par une dette publique incompatible avec sa croissance économique.
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