Airbnb pompe l’air des hôteliers
22 aoÛt 2013
Vous partez en week-end ou en vacances ? Louez votre maison ou votre appartement ! C’est l’idée que développe, avec un succès étonnant, le site Airbnb, qui propose 300.000 logements dans le monde, dont 2.800 en Belgique. Il ravit voyageurs et loueurs mais inquiète les hôteliers et politiques.
Certains succès ont leur revers. Celui d’Airbnb (www.airbnb.be) pourrait avoir des effets déplaisants pour les propriétaires qui louent des chambres à Bruxelles. Les pouvoirs publics et les hôteliers de la capitale, inquiets de l’explosion des logements chez l’habitant, souhaitent instaurer un enregistrement obligatoire, même pour les locations très occasionnelles, ce qui n’est pas nécessaire actuellement.
C’est la conséquence de l’explosion du site américain Airbnb. Né en 2008, il encourage les particuliers à louer leur maison, une chambre ou n’importe quel autre logement (cabane, bateau, caravane...) et propose aux voyageurs d’y séjourner. Le site se présente comme un Facebook du logement chez l’habitant. Il propose plus de 300.000 logements dans 192 pays. L’offre belge compte 2.800 annonces (presque trois fois plus qu’il y a un an), dont 1.500 à Bruxelles. Par comparaison, le site Bed&Brussels, qui est aussi celui de la fédération des chambres d’hôte à Bruxelles, ne propose «que» 420 lits, répartis dans 250 familles.
Depuis sa création, Airbnb a géré plus de 10 millions de réservations, dont 65.000 provenant de Belgique. L’entreprise, financée par des capital-risqueurs comme Jeff Bezos, n’est pas cotée et vaudrait actuellement 2,5 milliards de dollars.
Des annonces gratuites
«Les sites de location de chambres en voyage existent depuis longtemps, explique Nicolas Ferrary, le gérant d’Airbnb pour la France, la Belgique et le Maroc. Mais ils ne s’étaient jamais étendus aux résidences principales. Cela illustre deux tendances de fond : pour le particulier, la volonté de voyager différemment et de vivre une autre expérience ; et pour l’hébergeur, le désir de monétiser son logement quand il part en vacances ou en week-end plutôt que de le laisser vide.»
Cette approche va plus loin que la simple chambre d’hôte, formule ha-bituelle du logement chez l’habitant. Dans la Région bruxelloise, cette dernière est encadrée de manière informelle par l’asbl Bed&Brussels, la fédération bruxelloise qui conseille les hôtes, visite les chambres et gère le service de réservation. Elle travaille avec la Cocof (Commission communautaire française) qui a mis en place un système d’agréation facultatif, avec un label de qualité garantissant le respect de normes (surface, équipement, sécurité, etc.). Cet agrément n’est cependant pas obligatoire pour figurer sur le site de réservation de Bed&Brussels. «Je le conseille toutefois aux propriétaires car il sera de toute manière bientôt imposé», précise Valérie Van Haverbeke, l’administratrice déléguée de l’association.
Mieux séduire
Airbnb bouscule le monde de la chambre d’hôte, d’autant qu’il a été suivi par plusieurs sites similaires au design très ressemblant, comme HouseTrip (créé en Suisse en 2009), Sejourning (France, 2011) et surtout l’allemand Wimdu (2011). Ce dernier bénéficie d’un capital confortable — plus de 50 millions d’euros — et propose 235.000 logements, dont 297 à Bruxelles.
Quelle est la recette qui rend Airbnb aussi populaire ? La forme d’un média social, tout d’abord. Alors que les sites de location sont plutôt anonymes, sur Airbnb, loueurs et locataires potentiels affichent leur profil, une photo, leurs goûts, leur nombre d’amis sur Facebook, etc. Le site promet de belles expériences chez l’habitant et met l’accent sur des logements originaux à travers des listes (wish list) conçues par des membres de la communauté ou l’équipe d’Airbnb, forte de 600 personnes : cabanes dans les arbres, bateaux à loger, campings «glamours», etc. (voir «La sélection Airbnb», tout en bas de la page d’accueil du site). Un «top 40» propose des offres aussi variées qu’une chambre dans un appartement situé dans la tour de l’horloge de la gare St Pancras à Londres (161 euros la nuit), ou une cabine mobile d’un mètre carré à Berlin (10 euros).
Le site ne mégote pas sur les photos. Les hôtes qui le souhaitent peuvent demander gratuitement l’aide d’un photographe du site. Les images sont alors dignes d’un catalogue de pro, et portent en plus le label Airbnb verified, certifiant aux locataires que la photo colle avec le logement annoncé.
«Vivez plus riche», selon Airbnb
Pour attirer les loueurs, Airbnb ne manque pas d’arguments. Il affiche les témoignages et photos de propriétaires heureux en titrant : «Vivez une vie plus riche. Vous pourriez gagner de l’argent en louant sur Airbnb l’espace que vous n’utilisez pas» ou «Financez la rénovation d’un appart», ou encore «Récession : mettez-vous à l’abri». Le site contient une calculette pour évaluer le revenu potentiel d’un logement. Pour une chambre à Woluwe-Saint-Lambert, par exemple, le site avance la somme de 1.530 euros par an (louée 30 fois à 51 euros par nuit).
Pour rassurer les propriétaires, Airbnb multiplie les mécanismes pour certifier l’identité des locataires : leur lien Facebook et, plus récemment, la photo d’une pièce d’identité (obligatoire aux USA, bientôt en Europe). Il annonce une «garantie hôte» jusque 700.000 euros pour couvrir les dégâts d’un locataire indélicat. Elle n’est pas encore disponible en Belgique, mais bien en France ou aux Pays-Bas. De toute manière, il est possible d’exiger une garantie à travers le payement par carte de crédit, comme pour les hôtels. Tout cela s’ajoute au système d’avis, devenu habituel sur ce genre de site. Les locataires donnent leur avis sur les loueurs, mais attention, l’inverse est possible aussi.
Les soucis avec les règlementations locales
Le talon d’Achille du système Airbnb est le respect des réglementations locales : le site se contente de conseiller aux loueurs de vérifier «les lois locales qui s’appliquent à votre logement avant de publier votre annonce sur Airbnb». Il ne dispose en effet pas du staff nécessaire pour jouer le rôle d’acteurs locaux comme chez Bed&Brussels, qui conseille les candidats sur les subtilités de la réglementation et les aspects fiscaux de la location.
«Nous sommes présents dans 34.000 villes, ce qui signifie 34.000 situations légales et réglementaires différentes, s’excuse Nicolas Ferrary. Il s’agit d’un modèle nouveau. Nous travaillons avec les autorités locales pour essayer de clarifier les règles.» Pas encore à Bruxelles, visiblement, puisque Airbnb dit ne pas avoir encore eu de contact...
Cette situation est la conséquence de l’éloignement de l’organisation. Airbnb, société de droit américain, gère la Belgique depuis ses bureaux de Paris qui gèrent aussi la France et le Maroc, avec une équipe de 20 personnes. Elle n’a pas le statut d’agence (de voyage ou immobilière), mais de plateforme de communication et de gestion de payements. Elle perçoit une commission répartie entre le loueur (3 %) et le locataire (6 % à 12 %). Les liens se font par Internet, téléphone ou via des réunions de vive voix avec les hôtes. Il y en a eu quelques-unes à Bruxelles, dans des endroits trendy, comme le Pixel Wine Bar, le café Bonnefooi ou The Flat. Une nouvelle rencontre est prévue à l’automne.
Les hôteliers très inquiets
Les hôteliers s’inquiètent des sites comme Airbnb, qui peuvent constituer une forme redoutable de développement de la parahôtellerie. «Nous ne sommes pas opposés aux chambres d’hôte, aux particuliers qui souhaitent louer une chambre, se défend Rodolphe Van Weyenbergh, secrétaire général de la Brussels Hotels Association (BHA). Mais nous nous inquiétons des fausses chambres d’hôtes qui sont en fait des hôtels déguisés, sans les contraintes réglementaires de l’hôtellerie ni les taxes. Plutôt que de louer leur bien en bail 3-6-9, des propriétaires préfèrent louer à la nuitée des ensembles de logements. Les sites de réservation favorisent cette concurrence déloyale. Nous en avons parlé aux autorités politiques. Une nomenclature des logements touristiques devraient être précisée en septembre ; on devrait y voir plus clair.»
Bruxelles va imposer un enregistrement
Le dossier est traité par deux ministres de Bruxelles-Capitale, Céline Frémault, ministre de l’Economie et de l’Emploi, et Christos Doulkeridis, secrétaire d’Etat au Logement et président de la Cocof. Ils préparent deux ordonnances. « Le système que nous mettons en place est simple : une déclaration, un numéro d’enregistrement, un contrôle du respect des conditions (règlement incendie, urbanisme, salubrité, accueil, signalement, image...)», précise Céline Frémault.
«Dans l’absolu, l’intérêt que porte un acteur tel qu’Airbnb sur Bruxelles témoigne de l’attractivité de notre capitale et de notre Région. C’est donc plutôt une bonne nouvelle. Cependant, Airbnb a connu certains problèmes et s’est toujours réfugiée derrière le fait que les hébergeurs affirmaient sur l’honneur qu’ils respectaient la loi. Mais Airbnb ne fait pas de vérification.» La ministre veut éviter que la montée en force des logements chez l’habitant par Internet ne «provoque un far west déréglementé qui crée un nivellement par le bas».
Amende à New York
Bruxelles n’est du reste pas la seule ville où Airbnb et les sites similaires provoquent une réaction chez les autorités. Le cas le plus marquant est New York, où un propriétaire s’est vu infliger en mai une amende de 2.400 dollars pour violation d’une loi locale sur les hôtels après avoir loué son appartement à un voyageur via Airbnb.
Pour caresser les autorités locales dans le sens du poil, Airbnb multiplie les études calculant les avantages du logement chez l’habitant. En juin dernier, la société a publié un document démontrant qu’elle avait contribué à l’économie parisienne à hauteur de 185 millions d’euros en 2012, souvent au profit de quartiers où les touristes ne logent guère habituellement.
La direction du site semble prendre conscience du risque d’une croissance internationale mal contrôlée. Elle aurait, selon le Wall Street Journal, freiné l’embauche pour se réorganiser. Afin de mieux gérer sa croissance, un siège européen pourrait être créé à Dublin, au lieu des sièges répartis un peu partout (Paris, Londres, Barcelone...).
Le risque d’une trop forte réglementation
Les villes sont tentées de resserrer la réglementation du logement chez l’habitant mais elles sont aussi conscientes — surtout des cités moyennes comme Bruxelles, moins touristiques que Paris — de leur intérêt à développer ce type d’offres. Or, réglementer davantage peut décourager les loueurs. Déjà à l’heure actuelle, la paperasserie n’est pas négligeable. Ceux qui, en Belgique, servent des petits déjeuners doivent se signaler à la TVA, même si cette taxe n’est pas imposée pour les chambres d’hôte, qui bénéficient en pratique d’une exemption. «Je dois malgré tout rentrer la liste des petits déjeuner servis», affirme Marie Droeshaut, qui a ouvert son bed and breakfast en 2006 à Ixelles, près de la place Flagey, après que ses quatre enfants, devenus grands, soient partis.
Son logement, proposé à la location via Bed&Brussels, n’est pas encore agréé comme chambre d’hôte. Anticipant l’obligation d’une agréation, Marie Droeshaut a entamé les démarches. «Cela se passe bien. J’ai eu une visite de la Cocof pour examiner si les chambres respectent les normes. Il me reste à rentrer le document sur la conformité des installations électriques et de gaz. Comme j’ai fait des rénovations, la certification dont je dispose doit être refaite. C’est ennuyeux, mais bon... » L’administration lui pèse : « Certains renoncent, mais l’activité me plaît énormément. J’en suis à mon troisième livre d’or. J’ai reçu ici des personnes de 60 nationalités», se réjouit-elle. Sans l’aide d’Airbnb, pour le moment.
2.800 OFFRES
de logements en Belgique figurent sur le site Airbnb, dont 1.500 à Bruxelles et 200 à Bruges.
Obligations fiscales et administratives
Louer une chambre d’hôte ou tout autre logement similaire entraîne des obligations fiscales. Voici le détail, fourni par l’association Bed&Brussels (www.bnb-brussels.be).
TVA. La TVA ne s’applique pas au logement lui-même, mais bien aux services comme les petits- déjeuners. En pratique, le niveau des montants traités permet d’opter pour le régime de la franchise de la TVA, qui exclut de pouvoir récupérer la taxe. Il comporte deux obligations : s’enregistrer à la TVA et remplir un livre de recette. Plafond de la franchise : 5.580 euros par an.
Impôt sur le revenu. Les propriétaires doivent déclarer le revenu cadastral de leur immeuble, qu’ils le louent ou pas. En cas de location d’un meublé (c’est le cas d’une chambre d’hôte), il y a lieu de séparer la partie immobilière de la partie mobilière selon une clef 60/40. Les propriétaires qui louent un logement doivent indiquer le revenu perçu sur la partie II de leur déclaration, en déduisant les frais réels (taux de taxation : 15 %).
Taxes locales. Certaines communes imposent une taxe (Ixelles vient d’imposer une taxe de 150 euros par chambre et par an).
Chômeurs, pensionnés... , attention ! La gestion régulière d’une chambre d’hôte n’est pas compatible avec un statut de chômeur ou de personne percevant un revenu pour cause de maladie. Pour les pensionnés, attention au plafond d’activité autorisée.
Cotisations sociales. Gérer deux ou trois chambres d’hôte n’impose pas de changement de statut (indépendant ou indépendant complémentaire) ni les cotisations sociales afférentes.
Autorisation. Pas nécessaire à Bruxelles pour l’instant, mais obligatoire en Wallonie pour les chambres ou maisons d’hôte.
Les réponses de Bed&Brussels
Airbnb concurrence aussi Bed&Brussels, qui vit des commissions perçues (de 12 à 20 %). Les gestionnaires de chambres d’hôte peuvent en effet utiliser plusieurs canaux en parallèle pour trouver des voyageurs : Airbnb, Booking.com et d’autres.
Bed&Brussels réplique à sa manière, en étoffant son offre. A côté de la location de chambres d’hôte, il propose aussi 350 logements de plus longue durée pour des stagiaires, sous le nom de Brussels Destination. La Commission européenne y recourt, de même que des entreprises comme Solvay (www.brusselsdestination.be)
Le dernier service en date vise les entreprises : Bed&Business, qui propose la location de 750 logements en Belgique pour une clientèle d’affaires, d’un jour à plusieurs semaines. L’argument commun de ces offres est la proximité avec les loueurs, la visite rendue à tous les logements et le conseil assuré pour éviter de commettre des impairs avec les voyageurs et les autorités (www.bnbusiness.be).
Si la déferlante Airbnb bouscule quelque peu la fédération des chambres d’hôte de Bruxelles, Bed&Brussels, c’est aussi parce que le site américain dispose de moyens nettement supérieurs pour «vendre» ses logements, beaucoup plus nombreux puisqu’il est moins regardant sur les loueurs. «Ils sont devenus incontournables», reconnaît Valérie Van Haverbeeke, administratrice déléguée de Bed&Brussels, qui craint que l’accueil ne soit négligé pour les voyageurs : «Il s’agit souvent de locations où les propriétaires ne sont pas là quand les voyageurs séjournent. Je parlerais plutôt de relocation d’appartements.»
Une séance d’information pour les candidats intéressés par la création de chambre d’hôte à Bruxelles aura lieu le lundi 23 septembre à l’espace Flagey, à Ixelles (www.bnb-brussels.be).
ROBERT VAN APELDOORN
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