La monnaie n'est qu'un voile
L’économiste français Jean-Baptiste Say (1767-1832) avançait que la monnaie n’est qu’un voile. Cette réflexion troublante se réfère au caractère relatif de la monnaie. Cette dernière n’est qu’un étalon permettant de mesurer l’échange. La monnaie a un rôle passif, en se limitant à distinguer les sphères des économies réelle et monétaire.
Par sa fonction de véhicule d’épargne ou d’emprunt (qui est de l’épargne négative), la monnaie donne une valeur relative au temps. Le prix de la monnaie, c’est-à-dire le taux d’intérêt, est le facteur qui permet d’équilibrer la consommation actuelle avec son report dans le temps (par l’épargne) ou, au contraire, avec son anticipation (par l’emprunt).
Immanquablement, le temps et la monnaie convergent vers une métrique qui est l’expression du prix de l’avenir. Appréhendé sous un angle différent, la stabilité de la valeur relative de la monnaie reflète la prévisibilité du futur. Mais ce n’est pas tout. En effet, comme la valeur de la monnaie mesure le temps, elle évalue aussi la relation d’une économie avec son propre futur, c’est-à-dire les prochaines générations. La monnaie revêt donc une signification étatico-sociale. Sous cet angle, les ordres monétaire et social reflètent des angles d’approche différents de l’avenir.
Or, que constate-t-on ces dernières années ? On observe que le rapport à l’Histoire est devenu plus immédiat, comme si le rapport au temps devenait instantané.
Cette évolution, qui est souvent qualifiée de ‘court-termisme’ reflète un phénomène plus profond. Il s’agit, à notre intuition, d’un basculement de la perception du temps. Pendant très longtemps, nos économies ont bâti un rapport à la monnaie qui relevait de la capitalisation (c’est-à-dire partant du passé vers le futur). Progressivement, un basculement s’est opéré vers un rapport à la monnaie qui relève de l’actualisation (c’est-à-dire partant du futur vers le présent). Ce basculement consacre une perception anglo-saxonne de l’économie.
Si les valeurs du temps et de la monnaie sont liées, comment l’immédiateté du rapport au temps se traduit-il en termes de valeur de la monnaie ? Un élément de réponse réside dans l’idée que le basculement de référentiel s’accompagne d’une volatilité de la valeur monétaire. En effet, les évolutions conjoncturelles ne sont plus lissées dans le temps, mais ressenties dans le présent. Cela conduit à une volatilité de la valeur de la monnaie, dont le pouvoir d’achat va, beaucoup plus qu’auparavant, subir des variations brutales. Celles-ci pourraient s’exprimer dans un sens favorable (appréciation du pouvoir d’achat) ou défavorable (dépréciation du pouvoir d’achat).
Il nous semble intuitivement que les variations de pouvoir d’achat vont s’exprimer dans un sens défavorable. Cette précarisation de la valeur de la monnaie prendra la forme de l’inflation. En effet, les garants de la valeur de la monnaie, c’est-à-dire les Etats, sont aujourd’hui trop endettés pour en garantir la pérennité, comme auparavant. Les créateurs de la monnaie vont donc probablement subordonner l’ordre monétaire à l’ordre social. A notre perception, en créant un modèle d’Etat-providence qui a conduit à un endettement public excessif, on a perdu de vue qu’on risquait d’altérer, in fine, la valeur de la monnaie.
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