Le 17/01/2011 à 07:30 - Mis à jour le 17/01/2011 à 07:30
Google, le champion toutes catégories de l'univers Internet
Le roi des moteurs de recherche s’implante dans l’Internet mobile, la télé interactive et les réseaux sociaux.
Nous nous intéressons à tout ce que les gens utilisent au moins une fois par jour», fanfaronnait l’an dernier Larry Page, cofondateur de Google avec Sergey Brin. Logique, puisque son entreprise a déjà transformé la vie quotidienne de la majorité des Terriens, en leur offrant une plate-forme d’informations quasi infinie, le moyen de visualiser tout endroit de la planète et la possibilité de regarder des millions de vidéos couvrant tous les sujets. Le tout en douze ans seulement, puisque le leader mondial de l’économie Internet (23,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 6,5 milliards de bénéfices en 2009) n’existait pas début 1998.
C’est la culture managériale unique de Google qui a permis ce déploiement tous azimuts. Pour stimuler la créativité de ses 20 000 salariés, la firme leur offre des salaires confortables, une excellente couverture sociale, une cantine gratuite et un cadre de travail hors normes. En France, baby-foot, fauteuil massant et jeux vidéo sont disponibles dans l’espace détente. Ajoutons 20% de temps libre pour développer des projets personnels liés à des causes d’intérêt général ou susceptibles d’enrichir l’offre de Google. La volonté de manager autrement s’étend même au recrutement et à la gestion des carrières : «Quand un candidat se présente pour un poste, il rencontre ses futurs collaborateurs, qui ont leur mot à dire sur sa sélection. De même, l’évaluation annuelle des performances prend en compte l’avis des collègues», précise Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce, responsable de la communication institutionnelle de Google France.
Il faut croire que la motivation et la volonté d’innover s’en trouvent favorisées, puisque le géant du Web offre plus d’une cinquantaine de services : moteur de recherche, revue de presse, messagerie, photographie, cartographie, librairie, outils bureautiques, site de vidéos, téléphonie et Internet mobile en attendant la télé en ligne. Pas un mois ne se passe sans que la firme de Moutain View n’annonce une acquisition ou un investissement dans un nouveau secteur. Seule constante : la priorité donnée à la gratuité, qui favorise l’acquisition rapide d’une position éminente, sinon dominante. C’est ce modèle économique unique qui explique l’image «Docteur Jekyll et Mister Hyde» dont est affublée Google : «Des secteurs comme le logiciel ou les médias perçoivent cette entreprise comme destructrice de valeur. Mais les utilisateurs pensent qu’elle en crée en leur proposant des services gratuits de qualité», résume Jean-Michel Cagin, du cabinet d’experts en stratégie OC&C.
Bien entendu, la gratuité a pour contrepartie le financement par la publicité. Et le simple fait d’être listé sur la première page sélectionnée par le moteur de recherche en constitue une. La fréquentation et la santé de centaines de milliers de sites dépendent en effet du rang que leur attribue le moteur et de ses pratiques publicitaires. Fait nouveau, ceux qui s’estiment pénalisés n’hésitent plus à contester sa neutralité. Foundem, un site britannique de shopping, a ainsi porté plainte à la Federal Communications Commission parce que le moteur le rétrogradait dans les dernières pages quand son concurrent Google Product Search apparaissait en tête.
En Allemagne, des éditeurs de presse ont estimé que la firme privilégiait ses services météo et cartographie au détriment des leurs, et ont porté l’affaire devant le régulateur de la concurrence. Pis : la Commission européenne examine trois plaintes contre Google pour abus de position dominante. Pour sa part, l’Autorité de la concurrence française a dénoncé en juillet dernier des pratiques «non objectives, non transparentes et discriminatoires» concernant la vente des mots-clés aux annonceurs. La décision tombe mal pour Google, qui contrôle dans l’Hexagone plus de 90% de la publicité liée à l’achat de mots-clés…
Bien sûr, la firme réfute toutes ces accusations. Arguant que ses clients et usagers peuvent d’un simple clic se tourner vers la concurrence. Répétant qu’elle maintient une séparation stricte entre les réponses générées par le moteur et les liens commerciaux dont elle tire ses revenus. Insistant sur le fait que Google Adwords, le système qui organise la vente aux enchères de mots-clés aux annonceurs, permet à des PME d’accéder à une publicité ciblée pour un coût raisonnable.
Sûr de son bon droit, le géant californien s’efforce d’accentuer sa domination dans son métier historique. Il a racheté le moteur de recherche ITA Software, spécialisé dans l’information sur les prix des transports aériens. Il investit dans le marché prometteur des moteurs configurés pour les besoins des entreprises, avec Google Search Appliance. Enfin, dans le cadre de Google AdSense For Search, il propose un partage des recettes publicitaires aux sites qui acceptent d’intégrer directement sur leur page d’accueil son moteur de recherche.
Mais le groupe de Mountain View ne se contente pas d’occuper les écrans des PC. Il veut migrer vers l’Internet mobile. D’après les prévisions d’Ericsson, 3,5 milliards d’humains surferont sur la Toile depuis leur smartphone en 2015, contre 400 millions aujourd’hui. Ces consommateurs porteront donc en permanence sur eux un terminal multimédia que les annonceurs pourront cibler et géolocaliser. Pour négocier ce virage stratégique et convertir l’audience croissante de l’Internet mobile en recettes publicitaires, Google a racheté et développé Android, un système d’exploitation pour smartphones. Au premier trimestre 2010, les ventes de mobiles qui en étaient équipés ont dépassé celles de l’iPhone d’Apple et celles des portables équipés du système Windows Mobile de Microsoft.
Selon le cabinet Strategy Analytics, un mobile sur cinq marchera sous Android en 2014. De quoi agacer Apple, qui a expulsé de son conseil d’administration le P-DG de Google, Eric Schmidt, pour éviter un conflit d’intérêts.
La percée d’Android ne tient pas seulement à ses performances techniques. Google le livre gratuitement, alors que Microsoft exige des constructeurs 3 à 10 euros par appareil pour y intégrer Windows Mobile et que l’iPhone est vendu à un prix très élevé. Les constructeurs ont donc intérêt à miser sur Android, qui sera présent sur les smartphones les moins chers, c’est-à-dire l’essentiel du marché. Là aussi, Google offre Android en cadeau parce qu’il compte le rentabiliser par la publicité sur mobile : selon le cabinet Ineum Consulting, ce marché dépassera 20 milliards de dollars en 2014, contre 2 aujourd’hui. Pour y prendre position, Google a racheté AdMob, la régie publicitaire dédiée au mobile que convoitait aussi Apple. La firme veut aussi mixer Latitude, son service de géolocalisation à la demande, et la version mobile de son système AdSense, qui gère l’affichage des publicités sur les sites Web. L’objectif ? Proposer des pubs ultraciblées aux consommateurs lorsqu’ils passeront à proximité d’un point de vente de l’annonceur.
«Last but not least», Google conçoit des systèmes d’insertion de publicités au sein même des applications mobiles téléchargées depuis l’Android Market. Leurs revenus seront partagés avec les développeurs de ces applications. De quoi inciter ces derniers à travailler davantage avec Google. Car aujourd’hui, Android Market ne propose que 70 000 applications (contre 225 000 sur le site d’Apple). Pour prendre le leadership de l’Internet mobile, Google mise également sur le soutien des opérateurs, à qui il reverse 30% du revenu des applications payantes, alors qu’Apple ne rémunère que les développeurs.
Parallèlement à cette offensive sur le mobile, Google tente de se renforcer dans l’univers du PC. Son système d’exploitation Chrome OS, qui sortira fin 2010 – vraisemblablement sur des ordinateurs Dell –, se pose en alternative à Windows. Et sa suite bureautique gratuite Google Docs entend bousculer Microsoft Office. Les constructeurs de composants électroniques ont également de quoi se faire du mouron : comme Microsoft, Google propose en effet d’alléger la mémoire des PC en entreposant toutes les données sur ses serveurs plutôt que sur disque dur.
La liste des secteurs économiques qui se sentent attaqués par le géant californien ne cesse de s’allonger. Ainsi, le projet Google Books, qui vise à constituer la plus grande bibliothèque numérique du monde, froisse le secteur de l’édition. Il ne se limite pas à la mise en ligne des ouvrages tombés dans le domaine public ou faisant l’objet d’accords passés avec des éditeurs. En vertu du droit de citation, Google s’autorise à publier sans autorisation des ayants droit des citations utilisant des mots-clés recherchés, quitte à les retirer en cas de plainte. Saisi par les éditions de La Martinière, le TGI de Paris a condamné cette pratique en décembre 2009, mais Google a fait appel. La crainte de voir le géant de l’Internet prendre le contrôle de toute la chaîne éditoriale s’est accrue avec la création de Google Editions, qui vend déjà en ligne des livres, à l’instar d’Amazon. Jusqu’ici, les grandes maisons rechignent à signer avec cette entité. Elles craignent que Google devienne un distributeur incontournable, qui serait en mesure de leur dicter ses conditions.
Les éditeurs de journaux affichent une réticence similaire vis-à-vis de Google Actualités. Souvent intégrée à la page d’accueil du moteur de recherche, cette revue de presse est une vitrine qui génère près de 20% du trafic des sites des grands quotidiens. Pourtant, nombre d’internautes se contentent de lire les quelques lignes présentées par Google Actualités. Certains patrons de presse estiment donc qu’au total ce service fait baisser la fréquentation et les recettes publicitaires de leur site, au profit de Google.
Avec l’arrivée prochaine du tandem YouTube-Google en télévision, le développement du réseau social Orkut, qui marche sur les plates-bandes de Facebook, et la prise de participation dans Zynga, spécialiste des jeux sociaux en ligne, Google va se faire encore plus d’ennemis. Mais la firme n’a jamais renoncé à une innovation. Et son principe fondateur «Don’t be evil» («Ne fais pas le mal») semble moins impératif depuis que son omniprésence dans tous les domaines du Web lui procure un sentiment d’invulnérabilité.
Frédéric Brillet © Capital
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