Nokia abandonne la marque Ovi
Le premier fabricant mondial de téléphones portables en volumes avait lancé cette marque - sous laquelle sont notamment proposés un service de cartographie et une plate-forme de téléchargement de musique - en 2007.
Nokia n'utilisera plus la marque Ovi. Le groupe finlandais a annoncé lundi 16 mai qu'il allait abandonner cette marque qui s'appliquait à ses services. Il compte désormais utiliser le nom du groupe pour toute son offre.
Le premier fabricant mondial de téléphones portables en volumes avait lancé cette marque - sous laquelle sont notamment proposés un service de cartographie et une plate-forme de téléchargement de musique - en 2007, alors qu'il dominait le secteur de la téléphonie mobile, avec une part de 40% du marché des combinés.
"Cette décision démantèle la marque Ovi dédiée exclusivement aux services, qui représentait la pierre angulaire de la stratégie de la précédente direction concernant les services", juge Ben Wood, du cabinet d'études CCS Insight.
Fer de lance sur le marché des services
La marque Ovi (porte, en finlandais) a été le fer de lance des tentatives du géant finlandais pour s'implanter sur le marché des services, lorsque le groupe était dirigé par Olli-Pekka Kallasvuo, avant que Stephen Elop n'en reprenne les rênes en septembre 2010. A son apogée, les analystes estimaient qu'elle contribuait à hauteur de deux euros par action à la valeur du groupe.
Nokia a entrepris l'an dernier de réduire l'échelle de plusieurs services proposés sous la marque Ovi et se concentre désormais principalement sur les services exploitant les données de localisation.
Le fabricant de mobiles a précisé qu'il commencerait à renommer ses services Ovi à partir du mois de juillet.
"Le fait que Nokia soit une marque bien connue et très appréciée dans le monde" figure parmi les raisons ayant motivé cette décision, a expliqué dans un communiqué la responsable du marketing du groupe, Jerri deVard.
Les services proposés par Nokia aux utilisateurs sont intimement intégrés aux modèles que fabrique le groupe et "il n'existe plus de différenciation" entre eux, a-t-elle ajouté.
Selon l'agence spécialisée dans les marques mondiales Millward Brown, la valeur de la marque Nokia a reculé de 28% l'an dernier pour s'établir à 10,7 milliards de dollars.
(Challenges.fr)
Le 29/10/2010 à 07:30 - Mis à jour le 29/10/2010 à 11:07
Nokia, pourquoi le géant du téléphone décroche
Face à la déferlante des smartphones, notamment celui d’Apple, le finlandais semble paralysé. Incapable de répliquer. En cause : une stupéfiante dérive bureaucratique.
Slip tanga, talons aiguilles à paillettes, nuisette de satin, faux ongles… Mais oui, c’est bien Pamela Anderson sur la photo ! Mi-septembre, Nokia a organisé un concours pour promouvoir la sortie de son dernier smartphone, le N8. Le gros lot ? Le droit de poser dans un lit aux côtés de l’héroïne siliconée d’«Alerte à Malibu», filmée à l’aide de l’objectif de l’appareil. La grande classe ! Mais quelle mouche a donc piqué le groupe finlandais ? «Nous voulions créer quelque chose de très spécial qui expose la qualité hollywoodienne de la caméra», a expliqué, sans rire, le responsable de la campagne, John Nichols.
A la réflexion, Pamela Anderson colle parfaitement à l’image de Nokia. Celle d’une star sexy des années 1990 qui a fait rêver plusieurs générations et court aujourd’hui après son passé. Soyons juste, la marque scandinave est toujours l’incontestable numéro 1 mondial du secteur, avec 431 millions de mobiles écoulés en 2009. Mais pour combien de temps ? En seulement trois ans, son chiffre d’affaires a baissé de 20% et ses profits ont été divisés par dix. Nokia gagne deux fois moins d’argent qu’Apple avec ses mobiles, bien qu’il en vende dix-sept fois plus !
Dans les pays riches, ses smartphones robustes mais peu sexy se font voler la vedette par l’iPhone et le BlackBerry. Et dans les pays pauvres, ses appareils basiques affrontent ceux des fabricants chinois Huawei, ZTE ou TCL, encore plus low-cost. «Il est coincé des deux côtés», résume Neil Mawston, le consultant vedette du cabinet Strategy Analytics. Ce constat est connu. Ce qu’on sait moins, en revanche, c’est comment, en un temps éclair, cette firme réputée pour son dynamisme et sa créativité s’est transformée en un mammouth ankylosé.
Lorsqu’on se rend au siège du groupe, un ensemble de quatre tours de verre dessiné par l’architecte Pekka Helin, dans la banlieue d’Helsinki, on a peine à croire que Nokia va mal. En cette fin août, dans l’atrium baigné par la lumière du soleil, un compteur affiche le nombre d’abonnés à Ovi, le portail d’applications de la marque : 124 millions ! Blonds, beaux, jeunes et souriants, les «Nokians» se saluent avec une joyeuse insouciance. Pas de trace, ici, de l’évolution du cours de la Bourse (– 50% depuis avril 2010) ou de plan de reconquête. Pour comprendre les difficultés du géant finlandais, il faut plutôt prendre un petit avion de la Finnair et parcourir 1 200 kilomètres vers le nord.
Direction Veskoniemi, village perdu de Laponie. Au bout d’un long chemin de terre, on atteint le gîte tenu par Timo Sarkoja, un petit homme barbu d’origine hongroise qui assure être un cousin éloigné de notre président. C’est ici que s’est retiré Juhani Risku. Après avoir occupé pendant neuf ans plusieurs postes à la direction de l’innovation chez Nokia, il en a claqué la porte à l’été 2009. Ses interminables nuits lapones, il les a consacrées à la rédaction d’un livre en finnois, «Uusi Nokia» («Nouveau Nokia»). Cet architecte de formation y décrypte tous les maux dont est victime son ex-employeur. «Je veux les aider !», proclame-t-il.
La bureaucratisation est l’un des principaux chapitres de son ouvrage. A force de grossir – les effectifs sont passés de 59 000 employés en 2005 à 123 000 en 2009 – le groupe s’est mis à empiler les petits chefs. Alors qu’il se faisait une règle de ne jamais dépasser trois échelons hiérarchiques.
Une catastrophe pour l’innovation. «Pour faire aboutir un projet, c’est devenu la loterie, raconte Juhani Risku. Vous devez d’abord convaincre votre directeur. S’il est compétent et, surtout, courageux, il fera remonter l’idée au vice-président. Avec de la chance, cela arrivera aux oreilles du senior vice-président… et ainsi de suite jusqu’au comité exécutif, dont la majorité des membres s’intéressent bien plus aux finances qu’aux produits !» Résultat, Nokia a beau investir 3 milliards d’euros par an dans la recherche et le développement (trois fois plus qu’Apple) et employer une armée de 17 000 blouses blanches, il ne sort plus rien d’original.
Sur la grande table en vieux pin qui lui sert de bureau, l’ex-manager exilé en Laponie griffonne sur un carnet les croquis de toutes les technologies ratées par son ancienne maison. La 3D sur le téléphone ? «Samsung et Motorola présentent leurs modèles aujourd’hui, alors qu’il y a deux ans nous avions mis au point dans notre laboratoire de Tampere une machine capable de convertir en trois dimensions toutes les icônes d’un smartphone !» Le GPS gratuit embarqué ? Nokia aurait pu le sortir dès 2007, lorsqu’il a racheté Navteq 5,8 milliards d’euros. «Mais, quand j’ai demandé le droit d’utiliser leurs cartes, on m’a dit non», reprend Risku. Google l’a lancé l’an dernier, avant eux.
Mais il y a pire. Les Scandinaves avaient inventé l’iPhone avant Apple, sous le nom de code Star Wars Phone. «J’ai même présenté un prototype à des clients en 2004, mais le management n’a pas osé», assure Ari Hakkarainen, un autre ancien de Nokia, qui vient de publier un ouvrage sur la société titré «Derrière l’écran». Mi-septembre, au forum annuel Nokia World, la marque a encore prouvé son manque de réactivité : les experts attendaient la sortie d’une tablette, comme Samsung deux semaines plus tôt avait titillé l’iPad ; au lieu de quoi le finlandais n’a dévoilé qu’une énième flopée de téléphones tournant sous Symbian, son système d’exploitation réputé inadapté aux écrans tactiles.
Si Nokia a du mal à accoucher de produits surprenants, c’est aussi parce qu’il est prisonnier de ses usines. Ses concurrents ont externalisé leur production et sautent d’un fournisseur chinois à l’autre au gré de leurs nouveaux modèles. Contre vents et marées, le géant nordique produit quasiment toute sa gamme dans ses neuf immenses sites industriels implantés dans le monde. Problème : ce qu’il gagne en coûts logistiques, il le perd en diversité. «Leurs smartphones ressemblent à leurs millions de mobiles basiques, parce qu’ils les fabriquent sur les mêmes lignes de production», note Ari Hakkarainen.
Nokia est aussi en voie de soviétisation. Un certain collectivisme a ainsi affecté l’univers des applications Internet mobiles, ces petits programmes utiles ou futiles dont Apple tire largement profit. «Contrairement aux télécoms, l’univers Internet exige de bouger très vite, et donc de petites équipes capables de faire aboutir rapidement un projet», analyse Kai Nyman, l’ancien patron des services Internet de Nokia, également parti en 2009. Quand j’ai suggéré ce type d’organisation, mon supérieur m’a répondu que l’autonomie serait "un cancer qui rongerait la société".»
Le concours d’idées, organisé par Nokia auprès de ses troupes chaque printemps, offre un autre exemple édifiant des dysfonctionnements de la machine finlandaise. Au fil des ans, ses Géo Trouvetou ont couché sur le papier 5 000 idées, dont 500 jugées vraiment intéressantes. Une mine d’or. «Pour les développer, j’ai réclamé une équipe de 50 personnes pendant six mois, raconte un ancien cadre. Mais même 20 gars, on me les a refusés. Le concours s’est arrêté en 2007.» On comprend mieux la pauvreté de l’Ovi Store, le portail de Nokia et, partant, son très faible succès commercial.
«Nous en sommes à 1,7 million de téléchargements par jour dans 190 pays», se vantait fin août Anssi Vanjoki, le numéro 2 de Nokia (il a annoncé sa démission depuis), lors d’un entretien avec Capital à Espoo. Lui a-t-on dit qu’Apple carbure à 25 millions ?
Pour repartir de l’avant, Nokia aurait sans doute eu besoin d’un Jobs (Apple) ou d’un Ballmer (Microsoft), capable de taper du poing sur la table, voire de faire valser quelques têtes. «La dictature est contraire à notre vision de l’entreprise», poursuit Anssi Vanjoki. «Oui, Nokia, c’est plutôt la culture sauna, raille Risku. Comment voulez-vous engueuler des gens que vous côtoyez depuis des années, et avec qui vous transpirez le soir en cabine.» Ce management égalitariste a eu des conséquences redoutables. «On a peu à peu remplacé les leaders visionnaires par des gestionnaires qui respectaient bien l’organisation», analyse Kai Nyman.
Devenu patron de Nokia en 2006, Olli-Pekka Kallasvuo fut la principale erreur de casting. «OPK», comme on l’appelle dans le groupe, n’a jamais su galvaniser ses troupes par son charisme ou sa présence. «Jorma Ollila, son prédécesseur, on pouvait le croiser à la cantine, lui parler, raconte un ex-employé. Je n’y ai jamais vu OPK.» Ni à la cantine… ni dans les labos. «Non, je ne l’ai pas vu non plus», témoigne un ingénieur du centre de recherche de Tampere, à 180 kilomètres au nord d’Helsinki. Invisible, Kallasvuo l’est aussi du grand public. Quand ses homologues haranguent journalistes et développeurs pour présenter leurs derniers joujoux en mondovision, OPK semble confiné dans le costume du directeur financier qu’il a été toute sa vie.
A la rigueur, le boss aurait pu s’entourer de brillants managers. Encore raté. En janvier 2008, à qui a-t-il confié la mission de transformer Nokia en «première compagnie mondiale de l’entertainment» ? A un expert du signal radio ! A 42 ans, sans expérience dans le secteur, Tero Ojamperä a été expédié à New York pour négocier les achats de contenus vidéo et musicaux avec les moguls de la MGM et d’Universal. Bilan : Ovi Music ne propose que 8 millions de titres contre 14 pour l’iTunes d’Apple. Quant aux films, on n’en trouvait aucun mi-septembre, alors que la firme à la pomme les vend depuis 2008 !
Mais la palme revient à Marko Ahtisaari, bombardé à la tête du design en 2009. Après l’emblématique Italo-Américain Frank Nuovo, concepteur des Nokia de la grande époque, on attendait un cador de la profession. Mais c’est à un diplômé de philo, sans références, que Nokia a livré les clés de la maison. Ses atouts ? Parler un anglais parfait et, surtout, être le fils de Martti Ahtisaari, président finlandais de 1994 à 2000. Ce choix fut mal digéré par les 1 000 designers de Nokia. «C’est dommage», estime Turrka Keinonen, un de leurs anciens collègues aujourd’hui enseignant au sein de la prestigieuse université d’art et de design d’Helsinki. «Car il y aurait beaucoup à faire sur l’ergonomie de leurs mobiles, qui n’a quasiment pas évolué depuis 2001.» Au classement de référence du Forum international de design d’Hanovre, Nokia est relégué au 29e rang, loin derrière ses concurrents.
Alors, tout est-il perdu ? Depuis quelques semaines, Nokia semble enfin entrouvrir les yeux. Le groupe a commencé à réduire son portfolio de modèles pour se concentrer sur quelques best-sellers. Aux Etats-Unis, où ses relations tendues avec les opérateurs le cantonnent à seulement 8% du marché, il leur a enfin donné le droit de customiser ses appareils à leurs couleurs.
En Inde, sa filiale a lancé en septembre un ingénieux service : Nokia Money. Depuis son portable, n’importe quel abonné peut envoyer de l’argent, ne serait-ce que 1 euro, sur le compte d’un autre particulier ou d’un commerçant. «Plutôt que d’attendre un accord mondial sur le NFC (la norme de paiement sans contact qui divise depuis dix ans banques et opérateurs), nous avons décidé de lancer notre propre système de transfert, qui n’utilise que quelques SMS cryptés», raconte Olivier Cognet, le Français en charge du projet.
Mais c’est surtout d’en haut que vient l’espoir. Toujours président du conseil d’administration, Jorma Ollila a déclenché un séisme mi-septembre en écartant Olli-Pekka Kallasvuo au profit du Canadien Stephen Elop, premier non-Finlandais à diriger ce fleuron national (près d’un quart des exportations du pays). Anssi Vanjoki a démissionné dans la foulée. Cette révolution de palais reste toutefois un pari. Venu de Microsoft, Elop connaît bien le marché américain. «Mais il n’a pas d’expérience dans le design», rappelle Neil Mawston.
Un temps évoqué, Andy Rubin, un ex d’Apple et actuel patron d’Android (la plate-forme mobile de Google) avait plus le profil du sauveteur. Mais, comme l’a révélé la presse américaine, plusieurs grands patrons de la Silicon Valley ont refusé le poste quand ils ont réalisé qu’ils devraient emménager à Espoo, où la nuit tombe à 16 heures d’octobre à avril. Sur ce point, Elop, natif de l’Ontario, ne sera pas trop dépaysé. Espérons qu’il n’a pas été embauché pour cette seule raison.
De notre envoyé spécial en Finlande, Gilles Tanguy.
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