jeudi 25 août 2011

Google saga ...

23:00 - 19 août 2011 par Sarah Godard

Google ou l'empire sans fin


Google a mis la main à la poche pour s’offrir le bouclier d’un arsenal de brevets et semer la tempête dans l’espace mobile. Le deal est risqué car l’acquisition et ses implications sont considérables pour le géant américain et ses concurrents. Mais s’il est autorisé et rondement mené, Google ajoutera une étoile de plus à son empire de l’information.

En proposant 12,5 milliards de dollars pour racheter Motorola Mobility, soit pratiquement ce que le géant américain a engrangé comme bénéfices nets sur ses deux derniers exercices, Google procède à la plus grosse acquisition jamais réalisée par d’autres mastodontes du secteur comme Microsoft ou Apple. Mais que représente réellement cette opération pour Google et pour l’industrie mobile dans son ensemble?

Des armes légales

Soyons clairs: Google n’aurait probablement jamais racheté Motorola Mobility s’il n’y avait pas eu plusieurs milliers de brevets à la clé. Le fabricant électronique oscille entre pertes et break-even, ses marges sont faibles et il emploie 19.000 (!) personnes. "En d’autres mots, Motorola est une entreprise à taille démesurée qui augmenterait la taille de Google de 60 %", juge Henri Blodget, CEO de Business Insider.

Hors hypothèse d’intégrations, ce sont surtout les brevets qui sont devenus le véritable nerf de la guerre. "Google n’acquiert pas Motorola pour sa technologie mais pour les brevets qui sont devenus des armes légales. Ils ne représentent plus des idées", commente James Bessens de la Boston University. Alors, lorsque Google a été mis K.O. par le consortium composé d’Apple, EMC, Ericsson, Microsoft, RIM et Sony lors des enchères pour le portefeuille de 6.000 brevets Nortel en juillet dernier, le groupe s’est senti mal embarqué.

À peine 2.000 brevets en poche et la bataille tout juste commencée pour ceux d’InterDigital (8.000 tout de même) qui semble perdue d’avance. Le géant américain n’avait pas d’autres choix que de mettre la main au portefeuille. Avec les 17.000 brevets apportés par Motorola, il en possède désormais autant que Microsoft et le double d’Apple.

Un jeu dangereux

Reste que 12,5 milliards de dollars uniquement pour des brevets, cela reste cher payé. Certains analystes suggèrent que nous aurions atteint l’apothéose d’une bulle en ce qui concerne la valorisation des brevets liés aux smartphones mais que cette dernière va se dégonfler maintenant que Google est en passe d’obtenir la protection des brevets de Motorola.

Cela s’avérerait une excellente chose pour l’industrie tout entière. Alors que le message envoyé par Google est interprété par certains comme une provocation ("Poursuis-moi et je te poursuivrai"), des voix s’élèvent pour dénoncer l’impact négatif de cette course folle aux brevets qui distrait les entreprises de leurs activités de recherche et de développement. "S’il faut payer 12,5 milliards de dollars pour jouer, il est facile d’imaginer qu’une seule personne qui a une bonne idée puisse être découragée. Cela affecte l’entièreté de l’économie", juge Julie Samuel de l’Electronic Frontier Fondation.

Une seule explication convainc rarement. Alors, outre les brevets qui ne consisteraient qu’à "défendre l’écosystème Android" l’opération pourrait évidemment renforcer la position de Google sur le segment mobile. Comment? En construisant ses propres smartphones, bien entendu. Une perspective qui charme les technophiles mais qui pourrait conduire à un véritable désastre selon d’autres.

Google a déclaré qu’il ferait de Motorola une activité séparée. À nouveau, étant donné la taille de cette entreprise, ce serait un moindre mal. Henri Blodget suggère carrément de vendre les activités "hardware" de Motorola. Pour lui, les fusions de cette taille sont rarement des réussites et Motorola, à l’exception peut-être de l’activité TV, ne possède aucune part dominante dans les activités clés que Google recherche, a fortiori les smartphones et les tablettes. Pour couronner le tout, "Google n’a aucune idée de la manière de faire tourner une activité mondiale de production de matériel".

Mais si l’on admet que cela soit possible et que ce soit là l’une des intentions de Google, les implications pour l’industrie tout entière sont énormes.

Sur les traces d’Apple

Certains observateurs, comme John Paczkowski de AllThings D, y voient une validation du modèle économique d’Apple. Voire même une tacite reconnaissance que Google sent que l’approche unifiée de la compagnie (software + hardware) est la bonne voie, et particulièrement sur le segment mobile. "Google a des envies cupertiniennes (Apple a son siège à Cupertino, NDLR). En acquérant Motorola, il tente de suivre les traces d’Apple avec une approche verticalement intégrée de la conception des produits", explique Biran Marshall, analyste chez Gleacher.

L’idée que Google puisse avoir un modèle économique où il soit certain que sa vision mobile soit exécutée comme il la conçoit a du sens. Il est vrai que le groupe connaît des difficultés pour optimaliser son hardware alors que le système d’exploitation Android, lui, connaît un succès et une croissance impressionnante.

Google assure qu’il ne modifiera pas ses engagements à conserver Android comme un système d’exploitation ouvert en général et vis-à-vis de ses partenaires. Mais personne n’est vraiment dupe. Bien qu’ils disent le contraire, HTC, Samsung ou LG ne se réjouissent certainement pas de ce que Google devienne un concurrent en développant son propre smartphone Android.

Le deal accrédite par ailleurs la théorie de la troisième voie qui voudrait voir la coexistence de trois systèmes d’exploitation dans l’espace mobile. Si tout acteur logiciel a désormais besoin d’un composant hardware, cela pourrait forcer la main de Microsoft. RIM ou Nokia pourraient être des candidats potentiels. Quant à Apple, le groupe peaufine ses produits mais les acquisitions ne font pas partie de sa stratégie. Certains le verraient pourtant bien mettre la main sur l’un ou l’autre opérateur télécoms. À suivre…

Finalement, Google a-t-il les yeux plus gros que le ventre ou parviendra-t-il à digérer cette gigantesque acquisition et à se placer comme un acteur mondial incontournable sur le segment mobile, tout en ajoutant une nouvelle étoile à sa galaxie? La réponse va décevoir, comme toujours: c’est quitte ou double.

Un nouveau débat

D’aucuns n’ont pas manqué de souligner le pourcentage élevé dû à Motorola en cas d’annulation de l’opération. Si les autorités de la concurrence américaine n’autorisent pas l’opération ou si le deal n’est pas conclu avant la date butoir du 15 février 2013, Google devra en effet verser 2,5 milliards de dollars à Motorola. "Cela représente 20 % du montant total, c’est totalement inhabituel. Normalement, il oscille autour des 3 % de la valeur de l’opération", note Shira Ovide du Wall Street Journal.

Pour beaucoup, cette clause particulière semble suggérer que Motorola prend toutes ses précautions. Il n’y a pour l’heure aucune certitude que l’opération soit approuvée par Washington. Google fait actuellement l’objet d’enquêtes gouvernementales en Europe et aux Etats-Unis. Les autorités soupçonnent le groupe américain d’abus de position sur le marché de la recherche en ligne.

Et ce n’est pas la première fois. Google a déjà fait l’objet d’enquêtes très approfondies lors du travail de validation du rachat de ITA Software en juillet 2010. Les sites de voyages en ligne, mais aussi d’autres géants du web, craignaient une atteinte à la concurrence. Alors l’idée que l’un des groupes d’information le plus diversifié (voir encadré) et le plus puissant au monde puisse devenir un important producteur de matériel protégé par un arsenal de brevets va forcément faire l’objet d’un examen approfondi. "Un monopoleur de l’information comme Google devrait-il avoir le pouvoir de dominer la fabrication de smartphones et de contrôler les brevets dont auraient besoin les téléphones portables pour utiliser ses applications et opérations Android? Le débat est ouvert", conclut Jamie Court, de l’influente association américaine de défense des consommateurs, Consumer Watchdog. L

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