" La Fed détruit le dollar "
vendredi 19 août 2011 à 10h20
Est-ce le début de la fin pour les Etats-Unis ? Pour Myret Zaki, rédactrice en chef adjointe du magazine suisse Bilan, il n'est pas abusif de poser la question en ces termes-là.
Auteur d'un livre paru en début d'année sur le déclin du dollar et la santé financière des Etats-Unis, que Myret Zaki juge techniquement en faillite et dont la monnaie ne serait plus la plus sûre du monde, la journaliste est convaincue que le pays se rapproche inexorablement du défaut de paiement. Le 26 mai dernier, dans un entretien avec Trends-Tendances, elle évoquait déjà la dégradation par Standard & Poor's de la note souveraine américaine comme possible étincelle pouvant mettre le feu aux poudres. Nous l'avons recontactée.
Que penser du krach boursier de la semaine dernière ?
Cette correction tenait de la panique. C'est un début, un frémissement. La vraie crise se manifestera lorsque les marchés reconnaîtront que les bons du Trésor américain ne sont pas sans risque. Ma recommandation est claire : il faut sortir de ce marché de la dette américaine. Il est manipulé par la Fed, qui procède à des rachats massifs pour soutenir les cours et rassurer. C'est pourtant actuellement le marché le plus risqué au monde.
Selon vous, Standard & Poor's a donc eu raison de dégrader la note des Etats-Unis ?
Oui, mais trop peu, et trop tard. Les bons du Trésor américain sont des titres dont la valeur est inévitablement amenée à s'effondrer. La dette américaine est un fardeau de plus de 14.000 milliards de dollars qui ne pourra pas être remboursé. Il n'y a, à l'heure actuelle, aucune solution crédible sur la table pour résorber le déficit budgétaire américain. C'est un risque intolérable et pas du tout compensé par des taux d'intérêt à 10 ans à peine supérieurs à 2 %. La seule justification à cette faible rémunération est, je le répète, l'intervention massive de la plus puissante banque centrale au monde. En réalité, la Fed administre activement le marché de la dette aux côtés des investisseurs. Mais son raisonnement est fallacieux. Elle commet une grave erreur en faisant tourner la planche à billets pour soutenir ce marché, afin de maintenir les taux d'intérêt artificiellement bas. C'est une politique à court terme dangereuse, qui fausse la valeur des bons du Trésor et arnaque les investisseurs. In fine, tout ceci finit par détruire la valeur d'une monnaie.
Une grave crise économique et financière mondiale est-elle à nos portes ?
Les Etats-Unis n'attendront pas la crise de leur dette pour entrer en récession. Ils y sont déjà. L'économie américaine ne produit plus de croissance, ni d'emplois. Ce qu'on risque en plus, c'est un défaut de paiement des Etats-Unis. La Fed fera tout ce qu'elle peut pour éviter le pire avant les élections présidentielles de 2012. Mais une fois les élections passées, le vernis risque de se craqueler. Très vite, les Etats-Unis vont se retrouver étranglés financièrement, incapables de payer le service de la dette. Rien qu'une augmentation de 1 % des taux américains à 10 ans de 2,5 à 3,5 % par exemple, coûte 140 milliards de dollars d'intérêts supplémentaires. Bref, à un moment donné, le schéma de Ponzi orchestré par la Fed prendra fin dans la douleur. Et pour tout le monde.
PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN BURON
L'apartéL’Europe fonctionneCette hausse de l’euro, sur laquelle a parié avec succès Philipp Hildebrand, a pris de court les spéculateurs des marchés des changes |
Par Myret Zaki, le 16 Mars 2011
Un an après l’éclatement de la crise grecque, les eurosceptiques rangent discrètement leur grosse artillerie. L’un de ces retournements typiques s’incarne bien dans les commentaires récents de Martin Wolf, chroniqueur vedette du Financial Times, qui avait esquissé - comme tant d’autres - le scénario de la mort de la zone euro en décembre dernier, et qui n’hésite plus à nous expliquer dans sa colonne du 8 mars «Pourquoi l’euro survivra». Un article où il exclut désormais tout scénario de démantèlement.
Pas de parité euro-dollar fin 2010
A l’origine de ce nouvel optimisme, il y a plus qu’un effet saisonnier lié au retour des beaux jours. Il y a l’engagement sans faille, affiché par les chefs d’Etat européens, de faire «tout ce qu’il faut» pour protéger la zone. Un engagement dont le sérieux a même été reconnu, en privé, par Mervyn King, gouverneur de la Banque d’Angleterre, selon des fuites du site WikiLeaks.
Il y a aussi l’intervention de la Chine, du Japon, et de la Russie pour soutenir les nouvelles émissions obligataires de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne. Ce soutien, de la part de trois banques centrales majeures, est venu stabiliser le marché obligataire européen au plus fort de la crise, en mai puis en novembre 2010. Ces puissances économiques sont en effet déterminées à diversifier leurs réserves de changes en dollars, notamment vers l’euro; en outre, il faut dire que les obligations garanties par le fonds de la zone euro leur offrent des conditions financières attrayantes, étant mieux rémunérées que les bons du Trésor américain, pour une qualité comparable.
Et puis il y a la hausse impressionnante de l’euro depuis mi-janvier 2011, qui l’a vu s’envoler de 1,28 dollar à 1,39-1,40 aujourd’hui, tandis qu’il a pu se maintenir exactement au même niveau qu’en janvier 2010, après douze mois d’attaques sans précédent dirigées contre le marché obligataire de la zone. Cette bonne tenue de l’euro, sur laquelle a d’ailleurs parié avec succès Philipp Hildebrand, président de la Banque nationale suisse (BNS), a en revanche largement pris de court les spéculateurs du marché des changes, très nombreux à avoir parié sur une parité euro-dollar fin 2010, et grands perdants en ce début d’année.
Et il y a, enfin, la confiance inopinée de certains analystes de marché comme ceux de Nomura Global Economics, qui signent une note de mars 2011 titrée «Europe will work» (l’Europe va fonctionner). Un risque que n’aurait pris aucun courtier il y a quelques semaines en arrière. La banque d’affaires japonaise y évoque comment l’Europe est en réalité un projet existentiel, soutenu par une volonté politique certaine, et destiné à s’inscrire dans la durée. En outre, Nomura estime que la «zone euro a les ressources nécessaires pour gérer ses problèmes de dette publique et privée. Le courtier rappelle à cet égard que la dette publique de la zone s’élevait à 84% de son PIB en 2010, et son déficit budgétaire à 6% du PIB. En comparaison, la dette publique des Etats-Unis s’élevait à 90% du PIB, et le déficit à 11% du PIB, soit près du double de la zone euro. Pour l’heure, l’attention des marchés reste rivée sur l’Europe, mais les chiffres s’imposeront à terme selon Nomura, d’autant plus clairement que, ces prochaines années, la dette publique américaine progressera plus vite que celle de la zone euro.
L’europe a dû faire un pas de géant
Ce début de retour de confiance des marchés est une victoire pour l’Allemagne d’Angela Merkel, pour la vision de son ministre des Finances Wolfgang Schaüble, et pour la politique monétaire défendue par Jean-Claude Trichet. Leur ligne économique et monétaire rigoureuse s’efforçant de remettre la zone sur les rails de la discipline fiscale a recueilli le soutien, en particulier, des pays émergents dans le cadre du G20. Ces derniers souffrent en effet de la politique monétaire américaine qui exporte vers eux une inflation déstabilisante pour leur économie et leurs marchés financiers. Quant au camp favorable à la politique monétaire ultra accomodante défendue par Washington, il semble avoir garder peu d’adeptes à part les marchés financiers.
Obligée de faire un pas de géant en termes de gouvernance budgétaire et financière, l’Europe fait son chemin, lentement mais sûrement, vers une union monétaire plus robuste, «peut-être même dotée d’instruments ou pratiques plus solides, pour contrôler les budgets de ses Etats membres, que ceux dont dispose le gouvernement fédéral des Etats-Unis pour contrôler leurs Etats», estime Nomura. Europa funktzioniert.
L'apartéWall Street, c’est de nouveau Las VegasMême les gérants de hedge funds l’admettent en privé: les gains du S&P 500 doivent presque tout à l’argent gratuit de la Fed |
Par Myret Zaki, le 02 Mars 2011
En 2010, JP Morgan, Goldman Sachs et Citigroup ont affiché des bénéfices record. Cela n’est pas surprenant, lorsqu’on sait comment ces banques les ont réalisés: elles ont emprunté de l’argent à la Fed à près de 0%, et l’ont placé dans des titres à garantie étatique touchant des rendements plus élevés. Et ce, avec des leviers de 30 à 50 fois les montants investis. Il suffit de regarder les états financiers des grandes banques pour comprendre que l’essentiel des revenus provient du négoce de taux fixes et d’actions. A cet égard, le marché des actions américains a été incontournable ces derniers mois. Sommes-nous bien en 2011? Cela est difficile à croire, tant nous vivons le remake parfait des années de bulle 2003-2007. Oui, le levier est bien de retour, tout comme la dette sur marge (achat et vente d’actions à crédit), indices fiables d’engouement spéculatif. Et cela est normal: à conditions monétaires similaires, on assiste à la mise en place des mêmes bons vieux schémas de bulle sur les marchés.
Un rallie signé Fed
Exactement comme en 2003-2007, le pari favori des opérateurs, c’est l’arbitrage de taux (c’est-à-dire l’exploitation de structures de capital divergentes): emprunter d’un côté à bon marché, pour investir de l’autre à un taux plus élevé, et de préférence avec du levier. Une opportunité de gains faciles, qui rappelle en tous points le jeu auquel se sont prêtés les banques et les hedge funds durant le sommet de la bulle précédente. En janvier 2011, les hedge funds affichaient le niveau de levier net le plus élevé depuis octobre 2007. Leur stratégie: se faire prêter des fonds à des taux zéro pour miser sur le rallie du S&P 500, qu’ils savent entièrement porté par les deux assouplissements quantitatifs de la Fed (QE I et QE II).
Selon le New York Stock Exchange, la dette sur marge des hedge funds totalisait 290 milliards de dollars en décembre 2010, le niveau le plus élevé depuis l’effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008. Les deux pics précédents de prêts sur marge avaient été atteints juste avant l’éclatement de la bulle technologique de février 2000 et celui de la bulle immobilière de juillet 2007. L’environnement monétaire, comme on le voit, a continué ces trois dernières années d’opérer comme une incitation parfaite à la spéculation.
Si l’on regarde la courbe du S&P 500 depuis deux ans (printemps 2009), elle évoque une autre courbe: celle des placements de Bernard Madoff: lisse, en hausse de 101% (!), sur une trajectoire constante, presque irréelle. Sur quelle croissance économique reposent des gains boursiers aussi verticaux? La reprise a été molle, le chômage reste élevé, les prix immobiliers continuent de se dégonfler, des millions d’Américains vivent grâce aux tickets alimentaires, et les dépenses de consommation, entièrement basées sur le crédit, après avoir brièvement repris, sont désormais pronostiquées en baisse à cause de la flambée des prix du pétrole. Mais le S&P, lui, se maintient sur ses niveaux euphoriques.
Sommes-nous en présence d’un schéma de Ponzi? D’une certaine façon, oui. Un gérant de hedge fund chevronné nous a confié en privé que la hausse de la bourse américaine devait quasiment tout à la création de papier par la Fed, c’est-à-dire à l’inflation monétaire qui gonfle la bourse plutôt qu’à des gains liés à l’activité économique réelle. Et que pour sa part, il comptait bien en profiter, le tout étant de sortir à temps avant que le crash inévitable ne s’abatte sur la foule des nigauds.
Le premier QE a permis à la Fed d’injecter 1700 milliards de nouveaux dollars dans l’économie, et le second, QE II, ajoutera 600 milliards de stimulation monétaire entre novembre 2010 et juin 2011. A présent, le consensus des analystes prévoit une hausse d’encore 15% du S&P 500 ces quinze prochains mois. En effet, le ratio cours/bénéfices (P/E) du S&P 500 serait de 14,8, c’est-à-dire que le marché se traite à environ 15 fois ses bénéfices. Cela suggère que la bourse américaine reste bon marché, les bénéfices promis à l’avenir justifiant une poursuite des gains boursiers. Mais ce P/E est trompeur, car il suppose un taux de croissance des bénéfices de 36%, c’est-à-dire égal à celui de 2010, qui était le plus élevé depuis 1988. Cela est illusoire en 2011, étant donné les risques d’inflation, sur fond de flambée du pétrole, et de hausse des taux d’intérêt. Le S&P, à ses niveaux actuels, court le risque de s’écraser dans une montagne de papier...
Myret Zaki
Myret Zaki (née en 1973 au Caire, Égypte1) est une journaliste économique suisse francophone et rédactrice en chef adjoint du magazine économique Bilan2. Elle est l'auteur de plusieurs ouvrages liés à l'actualité financière, principalement suisse et américaine.
Biographie[modifier]
Son père est un politologue et rédacteur en chef du journal de langue arabe Al Ahali, alors que sa mère est interprète à l’ONU3. Myret Zaki vit à Genève depuis 19811. En 1997, elle fait ses débuts dans la banque privée genevoiseLombard Odier Darier Hentsch & Cie, où elle se forme dans l'analyse financière. En 1998, elle obtient un MBA de laBusiness School of Lausanne1. De 2001 à octobre 2009, elle rédige sur l'actualité économique au quotidien suisse Le Temps1. En octobre 2008, Myret Zaki publie son premier ouvrage, UBS, les dessous d'un scandale3, livre sur la banque UBS, mise en difficulté par les autorités américaines dans plusieurs affaires d'évasion fiscale aux États-Unis et surtout par la Crise des subprimes.
En janvier 2010, elle devient rédactrice en chef adjointe du magazine Bilan. En février de même année, elle publie Le Secret bancaire est mort, vive l'évasion fiscale4 et en 2011, La Fin du dollar1 qui prédit la fin de la monnaie américaine à cause de sa dévaluation prolongée et de sa grande extra-territorialité2.
Publications[modifier]
- UBS, les dessous d'un scandale, Éditions Favre, octobre 2008
- Le Secret bancaire est mort, vive l'évasion fiscale, Éditions Favre, février 2010
- La Fin du dollar. Comment le billet vert est devenu la plus grande bulle spéculative de l’histoire, Éditions Favre, avril 2011
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