La
liberté de la presse n’est pas un droit subjectif ou un privilège accordé aux
journalistes et aux éditeurs, mais une règle fondamentale, relevant de l’ordre
public national et européen, qui interdit ou limite le pouvoir d’intervention
des autorités publiques en matière de presse et de médias en général. Cette
limitation s’applique à tous les pouvoirs publics, en ce compris les cours et
tribunaux qui exercent le pouvoir judiciaire.
La liberté de la presse jouit d’une protection
juridique particulièrement intense et étendue car elle est absolument
indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. Dans les démocraties
modernes, les médias contribuent de manière centrale au développement du débat
public sur toutes les questions présentant un intérêt pour la communauté et
permettent par ailleurs à l’opinion publique de remplir sa fonction
irremplaçable de contrôle et de critique permanent des pouvoirs.
En
conséquence, la Cour des droits de l’homme exerce à juste titre un contrôle
strict et sévère sur les interventions publiques de toute nature qui portent atteinte,
même indirectement ou de manière symbolique, à la liberté de la presse et des
médias. Elle vérifie en particulier, dans chaque cas, si la mesure répond bien
à un besoin social impérieux sans laisser à cet égard de marge d’appréciation
aux États.
Si
la protection des droits et de la réputation d’autrui peut motiver une
restriction de la liberté d’expression en général, en matière de presse
toutefois, la Cour juge que l’intérêt public fondamental d’une société
démocratique à assurer et à maintenir une presse libre l’emporte en termes de principe
sur l’intérêt tant des personnes publiques que des particuliers. Une ingérence
ne peut être tolérée qu’à la condition pour l’État de justifier de manière
convaincante d’un intérêt public qui outrepasse l’intérêt démocratique
fondamental à conserver une presse libre.
Quant
aux mesures préventives, qui restreignent a priori la liberté d’expression
et de presse, elles suscitent les plus sérieuses réserves et appellent le contrôle
le plus sévère de la Cour européenne. En Belgique, de telles mesures sont
interdites par l’article 25, alinéa 1er, de la Constitution en ce qui concerne
la presse. Cette interdiction vise toutes les mesures et tous les médias, en ce
compris les injonctions judiciaires, qui ont pour objet ou pour effet d’interdire
ou de restreindre la diffusion des informations et des opinions par voie de
presse ou de subordonner celle-ci au contrôle ou à la modification de leur
forme ou de leur contenu.
De
telles mesures ne peuvent être admises que dans certains cas exceptionnels où
le droit interdit et met hors la loi la diffusion de certaines opinions et
autres représentations. Ces règles, établies par la loi en nombre limité,
doivent définir et circonscrire précisément l’objet et la portée de l’interdiction,
en sorte de permettre aux citoyens de régler leur conduite et leur discours en
conséquence.
Le
fait qu’une publication soit fautive ou qu’elle porte atteinte aux droits, à la
réputation ou aux intérêts légitimes d’autrui ouvre éventuellement aux personnes
mises en cause la possibilité d’obtenir un droit de réponse ou des dommages et
intérêts. Mais il ne permet pas en droit d’interdire ou de restreindre a
priori la diffusion de la publication litigieuse. Une telle ingérence dans
la diffusion des médias, au terme d’une mise en balance opérée au cas par cas
entre l’intérêt à communiquer une information au public et l’intérêt de la
personne mise en cause à ce que l’information ne soit pas publiée est
incompatible avec notre droit. Elle est plus généralement inconciliable avec le
bon fonctionnement d’une démocratie adulte, en faisant du juge l’arbitre des
débats publics, sur la base de jugements de valeurs incertains et aléatoires,
sans règles précises et sans limite quant à leurs effets. Elle menace enfin la
sécurité juridique en ouvrant la voie à des contestations illimitées et
interminables, sans fournir de critères pour les anticiper ou pour les résoudre.
L’arrêt
prononcé par la Cour de cassation le 29 juin 2000 est critiquable en tant qu’il
entérine en des termes trop larges le pouvoir du juge d’intervenir dans la
diffusion des médias. Le respect de la Constitution et de l’article 10 de la Convention,
dans l’interprétation autorisée que lui donne la Cour de Strasbourg, requiert
un contrôle plus étroit de la motivation de telles interventions. À l’avenir,
la Cour de cassation devrait rappeler l’interdiction de principe de telles
ingérences. Elle devrait à tout le moins exiger du juge qu’il indique en quoi
le contenu de la publication est interdit par le droit et qu’il justifie d’un intérêt
public supérieur nécessitant de porter atteinte à l’intérêt d’une société
démocratique à assurer et maintenir une presse libre.
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