lundi 17 janvier 2011

Bruno Colmant @ L'Écho

Posté le 15 janvier 2011 par Bruno Colmant

Des hommes de caractère

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C’est désormais un lieu commun de s’émouvoir du gigantisme du développement asiatique. Au gré des voyages, on voit les villages devenir, en quelques mois, d’immenses métropoles à la logistique futuriste.

Pourtant, au-delà de l’émerveillement, il y a autre chose de plus subtil qui se passe. A première vue, c’est l’ordonnancement des infrastructures et sa symbiose avec une jeunesse enthousiaste. C’est aussi la disparition d’une fébrilité qu’on constatait, il y a dix ans. Les centres asiatiques deviennent, en effet, plus sereins, comme si la population avait pris conscience de la puissance de son rôle dans le développement économique.

Mais il y a davantage. Quelque chose qui se situe entre la force tranquille des avancées inéluctables et un certain dédain, ou plutôt, un désintérêt des contrées européennes. Car, pour l’Asie, l’Europe, c’est très loin, et surtout c’est fini. Les anciens colonisateurs français, espagnols et portugais sont relégués à des époques oubliées. Alain Minc avait raison quand il craignait que l’Europe devienne, pour les asiatiques, une Suisse, avec des musées en plus.

Même l’Amérique, dont le système a tracé les sillons de l’économie de marché, est regardée avec le respect poli des modèles qu’on se dépêche d’écarter, une fois qu’on acquiert une certaine autonomie. D’ailleurs, quand on revient des Etats-Unis, on a le sentiment troublé d’une grandeur déclinante et fissurée par le vacillement des institutions bancaires. Bien sûr, rien ne remplacera la quiétude victorienne des campus américains de la côte Est, malgré que les nids-de-poule se fassent de plus en plus nombreux près de Wall Street. Depuis le 11 septembre 2001, les hôtels de Manhattan vieillissent mal et l’aura des libérateurs militaires américains s’est dissipée. Pour peu, Central Park a perdu son charme féérique. New-York était moderne dans les années quatre-vingt. Elle semble aujourd’hui poussiéreuse et grisâtre.

Le choc, c’est quand on revient de Chine ou des Etats-Unis. On réalise alors avec effarement que la Belgique, c’est Clochemerle, du titre d’un roman satirique français des années trente, et qui caractérise un village déchiré par des querelles burlesques. Nous devenons un tout petit Royaume, presque incapable d’assumer le rôle de capitale de l’Europe qui lui a été attribué. Le caractère introverti de nos gouvernants n’a d’égal que la dégringolade dans les indices de compétitivité, qu’ils soient académiques ou économiques.

Que s’est-il passé ? C’est simple : l’Etat n’a pas été à la hauteur. Il n’a plus donné confiance. Nous n’avons plus de gouvernement de combat depuis trois ans. Il a démissionné de son rôle de vigie. Le pouvoir politique s’est rétréci par morcellement. Devant ces multiples signaux, de nombreux entrepreneurs ont quitté le pays sur la pointe des pieds. Les entreprises belges, autrefois reconnues, sont désormais de simples filiales de groupes étrangers.

Mais il y a pire. La Belgique est devenue toute petite parce que le pouvoir politique écarte ses élites académiques des débats citoyens. L’entreprenariat est suspect, la réussite professionnelle à peine tolérée, les centres universitaires sont désargentés et les reconnaissances nationales sont devenues le résultat d’équilibres politiques et linguistiques. Même la jeunesse, à qui on lègue une dette insupportable, est escamotée du débat politique.

Certains sont résignés devant cette banalisation de l’accablement. Ce n’est pas notre cas. Nous voulions une Belgique qui reconquiert ses disciplines internes.

Que faire ?

Certainement ne pas attendre des hommes providentiels. Ils ne viendront pas. Il faut sortir du déclinisme et des modèles d’Etat-providence.

A un niveau individuel, il s’impose diffuser les valeurs qui forgent la prospérité et la solidarité. Ces valeurs s’appellent le courage, l’envie du travail et la confiance dans la jeunesse et un avenir bâti. Il convient aussi d’accepter la récompense de l’effort engagé, s’extraire du collectivisme suffocant et promouvoir l’ambition de l’entreprenariat. Notre pays a besoin de nouvelles valeurs.

Georges Clemenceau (1841-1929) disait qu’ « Il faut savoir ce que l'on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire. Quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire».

Il faudra aussi que des hommes de caractère émergent. Ils devront se mettre à risque personnel. Car, dans les crises et les moments de perdition, les hommes dont les schémas de pensée sont répétitifs et obéissants seront écartés par l’Histoire. La crise a rappelé que les hommes qui se laissent porter par les consensus flous et dominés par les peurs collectives ne sont ni acteurs des ruptures, ni des facteurs de progrès.

Dans le « Fil de l’épée », Charles de Gaulle écrivait en 1932 que le « caractère est une vertu des temps difficiles ». Il disait aussi que « les passionnés vivent, les résignés durent ».

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