Opinion : Il va falloir changer nos comportements patrimoniaux pour ne pas nous appauvrir !
Source : La Tribune.fr - 17/12/2010 | 11:00
Chronique de Jean-Yves Lefevre, chargé de cours à l'université de Paris-Dauphine et dirigeant du Cabinet Lefevre & Associés.
Après les 30 glorieuses durant lesquelles nous avons connu une forte croissance (des entreprises florissantes, le plein emploi, l’augmentation régulière des salaires et l’inflation qui va avec tout cela), a suivi ce que l’on pourrait peut-être appeler les 30 « stagnantes » : peu d’inflation, une croissance molle, du chômage, mais aussi l’apogée de l’enrichissement patrimonial. En effet, la valeur des patrimoines des français est arrivée aujourd’hui à son plus haut niveau historique. Durant ce cycle, nous avons dopé notre capacité à consommer et à investir en anticipant sur la richesse de demain, grâce au crédit. Le cycle de l’avènement du crédit ! Nous avons poussé son utilisation jusqu’à ses limites, au-delà même, jusqu’à nous faire trébucher. C’est la crise de 2008. Alors, la question de savoir si cette année marque un virage important se pose. S’agit-il du commencement d’un changement de cycle ? C’est tout à fait possible ; un nouveau cycle qui serait marqué par l’appauvrissement des pays riches. En tout état de cause, sur le plan patrimonial, c’est plus que probable.
En effet, pour sortir de la crise économique les USA et les pays européens ont fait les mêmes choix : transférer les dettes privées insolvables (celles des ménages et des entreprises) sur la dette publique, puis favoriser la relance de la consommation pour redonner une impulsion à l’économie. C’est la deuxième phase que nous vivons actuellement : l’approche « keynésienne ».
Trois grandes actions sont menées dans ce sens :
1. L’injection de liquidité (avec l’espoir que les entreprises et les ménages consommeront davantage : à titre d’exemple, l’Administration américaines est en train d’injecter plus de 600 Milliards de $ dans son économie).
2. L’accès à l’argent pas cher. Les taux de crédit sont à leur plus bas historique depuis 1945 (proches de zéro aux USA et moins de 4% chez nous).
3. La baisse de la rémunération de l’épargne. Avec des taux de placement très faibles, on est moins attiré par l’épargne, alors on consomme plus.
Ce dernier point est loin d’être anodin. Il sonne le glas des épargnants et des détenteurs de patrimoine qui négligeraient ce changement de cycle. D’ailleurs, les deux placements préférés des français ont déjà commencé à être mis à mal.
• Le livret A rapporte aujourd’hui deux fois moins qu’hier.
• La rémunération des contrats d’assurance-vie (avec les placements dits « fonds en euros ») baisse et va continuer de baisser dans l’avenir, avouent les assureurs.
Parallèlement à cette baisse de rémunération, il y a l’augmentation de la pression fiscale sur les revenus des placements et des patrimoines : Il faut bien payer la dette publique qui aura financé la création de liquidité (pour relancer la consommation). Il suffit de lire la loi de finances qui vient d’être votée en France pour voir qu’elle est résolument tournée vers cet objectif : davantage taxer les revenus du patrimoine.
La conjugaison de ces deux facteurs (baisse des rémunérations et augmentation de l’imposition sur les placements) va obliger les détenteurs de patrimoine à « penser leur patrimoine autrement » s’ils ne veulent pas s’appauvrir dans les années à venir.
L’époque où les patrimoines placés s’appréciaient sans trop s’en occuper et sans trop d’impôt (en tout cas moins que sur le travail) est révolue !
Pour obtenir des résultats, les détenteurs de patrimoine vont devoir mieux se protéger de l’impôt et d’avantage s’impliquer dans la gestion de leurs avoirs. Dans la décennie qui vient, ceux qui n’en ont pas conscience s’appauvriront probablement.
On peut comprendre que lorsque l’on est au cœur d’un cycle, on peut se concentrer sur sa seule problématique personnelle, sans trop se préoccuper du contexte global, économique notamment. En revanche, en période de transition, comme aujourd’hui, des décisions doivent être prises pour adapter les stratégies d’investissement comme les comportements patrimoniaux.
S’agissant des stratégies d’investissement, prenons trois exemples :
• Un livret d’épargne rapporte 1,80 % en moyenne (- 30 % d’impôt). Un investissement immobilier locatif peut rapporter 2 fois plus (avec pas ou peu d’impôt s’il est loué meublé par exemple). Certes, il ne s’agit pas des mêmes placements. L’un est simple et liquide, l’autre moins et il faut s’en occuper !
• Quant aux placements boursiers, il va falloir s’en occuper aussi plus qu’hier ; être plus réactif pour mieux profiter des variations de cours et ne pas trop les subir. Or, durant la dernière décennie, on a encensé les gestions indicielles ou « benchmarkées » (qui ont pour vocation de suivre un indice : le CAC 40 par exemple). Quelle aberration ! Même lorsque les indices se sont effondrés, on a entendu des discours « Kafkaïens » chez certains gérants, satisfaits que leurs fonds n’aient perdu que 40 % quand les marchés faisaient – 50 %. Evidemment, l’épargnant ne voit pas les choses de la même façon. On a beau lui dire que tant qu’il ne vend pas il ne perd pas, il sait aussi que si le cours de son placement a perdu 50 %, il faut une hausse de 100% pour simplement revenir à l’équilibre. Il faut donc à tout prix éviter d’avoir des portefeuilles qui « partent à la casse». Une bonne gestion boursière est une gestion réactive qui, certes, profite des hausses mais aussi limite les baisses. Puisque nous sommes rentrés dans une ère de forte volatilité des marchés, il est clairement préférable de privilégier les gestions dites « flexibles » ou « réactives ». Il faut s’en occuper et les intégrer dans des cadres juridiques et fiscaux avantageux.
• Pour les placements obligataires, nous venons de traverser deux décennies de baisse des taux. Sans rien faire, on gagnait de l’argent car cette situation est favorable aux obligations. Aujourd’hui, un emprunt d’Etat rapporte environ 3 % sur 10 ans. Cela peut paraître attrayant lorsque les sicav monétaires rapportent moins de 1 %. Mais c’est un effet d’optique. Dès que les taux vont remonter (et ils remonteront bien un jour, même un peu), les actifs obligataires vont se déprécier. Il faut déjà commencer à se préparer à protéger ce type de placements ; il faut s’en occuper !
S’agissant des comportements patrimoniaux, deux thèmes sautent aux yeux :
• L’allongement de la durée de vie pose à la fois le problème du financement de la retraite mais aussi celui du 4ème âge. Dans les années à venir, plus de 50% des français vivront un jour une situation de dépendance (besoin d’une tierce personne pour accomplir les actes de la vie quotidienne). Nos ainés épargnaient en direction de leur retraite environ 15 à 10 ans avant qu’elle arrive. Ce sera désormais complètement insuffisant. Pourtant, épargner est plus dur qu’hier. En effet, pour épargner, il faut bien gagner sa vie ; et lorsque c’est le cas, la pression fiscale obère considérablement la capacité d’épargne. Il faudra donc épargner longtemps, et très tôt (pratiquement dès le début de la vie active), pour accumuler un patrimoine suffisant pour la retraite. C’est un vrai changement de comportement qui est devenu indispensable et il y a des solutions. Par exemple, avec un budget de 100 €/mois, on peut financer un investissement immobilier locatif sur 20 ans, qui saura donner des revenus complémentaires à terme.
• Les comportements relatifs aux transmissions intergénérationnelles doivent également changer. Hier, nos parents pouvaient plus facilement faire des donations à leurs enfants. Aujourd’hui, ils doivent se ménager les moyens de financer leur retraite et le 4ème âge. Les parents peuvent donc moins donner ; en tout cas autrement. La donation avec réserve d’usufruit est désormais nettement plus pratiquée que celle en pleine propriété.
Pour financer la relance économique par la consommation, Keynes prônait « l’euthanasie du rentier ». Toutefois, aujourd’hui, le « rentier moderne », c’est Monsieur tout le monde. C’est par exemple tout simplement l’épargnant qui veut compléter ses revenus au moment de la retraite. Heureusement, il existe des solutions pour éviter « d’euthanasier» son patrimoine, pour préserver sa rentabilité et limiter son exposition fiscale ; mais il faudra, plus que jamais, être bien conseillé et s’impliquer davantage dans la gestion de son patrimoine.
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