mardi 21 juin 2011

Actions chinoises

"Gagner de l'argent avec des actions chinoises, ce n'est pas facile"

INVESTIR

"Il est faux de croire qu’un essor économique est nécessairement synonyme de gains en Bourse. Dans les pays émergents, les principaux risques sont la concurrence et l’érosion des marges bénéficiaires." C’est le discours que tiennent Hugh Young et Nick Price, célèbres gestionnaires de fonds pour Aberdeen et Fidelity.

(mon argent) - Ensemble, ils ont plus de 100 milliards de dollars d’actions de marchés émergents en gestion. Hugh Young est le fondateur du pôle asiatique d’Aberdeen. Il a parcouru les quatre coins du monde au cours de ses 25 années de carrière en tant que spécialiste des pays émergents.

De son côté, Nick Price a travaillé plusieurs années comme analyste pour le légendaire gestionnaire de fonds Anthony Bolton. C’est à sa demande qu'il a été affecté à un fonds de marchés émergents en 2005. Pas uniquement parce qu’il est Sud-africain, mais surtout car il est persuadé qu’une révolution fondamentale s’est amorcée. Interview.

Fin avril, le Fonds Monétaire International (FMI) avait prévenu des risques de surchauffe en Asie. Pensez-vous également qu’une bulle risque d’éclater?

Nick Price: "Cette perspective ne m’inquiète pas beaucoup, honnêtement. Les banques centrales sont peut-être un peu lentes à relever les taux. Mais quand on voit les mesures draconiennes qui ont déjà été prises pour freiner la demande, on constate qu’elles n’hésitent pas à agir. En Chine par exemple, pour acheter une résidence secondaire, il faut pouvoir apporter 60 à 70% du prix d’achat en espèces. Les réserves que les banques doivent constituer pour les prêts qu’elles accordent ont été relevées à plusieurs reprises. Les Chinois limitent aussi le nombre de voitures. Ils mettent tout en œuvre pour refroidir l’économie. Il y a peut-être une bulle immobilière en formation, mais les autorités sont en train de la vider avec la prudence et la détermination requises.

Hugh Young: "Il faut souligner que cette éventuelle bulle est très différente de celle qu’ont connue les États-Unis il y a quelques années. En Asie, la bulle immobilière n’est pas financée par des crédits. Pour acheter une résidence secondaire en Chine, il faut la financer en espèces. Il n’est donc pas question d’effet de levier, mais d’effet de richesse. Les Asiatiques investissent leurs économies dans l’immobilier et non en actions. Ils estiment que les prix immobiliers vont continuer à augmenter. De ce fait, on observe des signes clairs de surchauffe, surtout à Singapour, en Chine, à Hong Kong et en Inde. Mais les autorités s’y attaquent avec efficacité.

Les ambitions immobilières des autorités locales m’inquiètent beaucoup plus. Certains projets sont hallucinants, et il est difficile de croire qu’ils seront rentables un jour. On construit des gratte-ciels jusque dans des villages. Pourquoi? Simple question de prestige."

Quel est selon vous le principal facteur de risque pour les investisseurs dans les marchés émergents?

Price: "Sans aucun doute la concurrence accrue. Il est presque acquis que les bénéfices des entreprises des pays émergents vont baisser, car elles sont de plus en plus nombreuses sur les marchés. Si vous prenez un taxi de l’aéroport de Saint-Pétersbourg au centre-ville, vous passerez devant un nombre incalculable de magasins d’alimentation. Toutes les chaînes de supermarchés occidentales sont présentes. Mais dans certaines grandes villes nigérianes, vous pouvez vous estimer heureux si vous trouvez deux grands supermarchés. Ce n’est pas parce que le potentiel de croissance de cette économie est plus élevé que les marges potentielles des entreprises y sont aussi plus généreuses."

Young: "Effectivement, il est faux de penser que croissance économique est automatiquement synonyme de performances boursières. Il y a 22 ans, nous avons lancé un fonds qui n’investissait que dans des actions thaïlandaises. Ce pays affichait une croissance économique et des perspectives fantastiques. Mais malgré une croissance économique annuelle de 6% depuis, l’indice en est toujours au même niveau qu’à l’époque. La principale explication réside dans la concurrence et la pression sur les marges."

A long terme, n’y a-t-il aucun lien entre la croissance économique et les performances boursières? De nombreux observateurs font référence au fait que les marchés émergents ne représentent que 15% de la capitalisation boursière globale, alors qu’ils constituent 30% de l’économie mondiale et continuent à croître.

Young: "Tous ces chiffres sont faux. Nous ne croyons pas en ces dogmes. C’est comme affirmer qu’il faut acheter chinois sous prétexte que la Chine compte 1,3 milliard d’habitants. C’est du bon marketing, vous igno-rez ainsi l’essence de ce que doit être un investissement et vous risquez de perdre beaucoup d’argent. Pour donner un exemple: la capitalisation réelle du marché chinois est environ quatre fois supérieure à ce que laisse présager l’indice. C’est dû au fait que la Chine compte énormément d’entreprises publiques. Les indices ne tiennent compte que des actions librement négociables qui représentent 20% de l’entreprise, mais ce raisonnement ne tient pas. Il faut donc être très prudent lorsqu’on avance de telles conclusions. La principale raison pour investir dans les marchés émergents est la présence d’excellentes entreprises qui affichent un superbe potentiel de croissance. Investissez dans la croissance d’une entreprise, pas dans la croissance d’un pays."

Price: "A long terme, le ratio capitalisation boursière/PIB atteint des niveaux similaires dans les différents pays. On peut observer la situation de l’autre bout. Aujourd’hui, 80% des individus représentent 60% de la croissance économique mondiale. Simultanément, ces personnes comptent pour 30% du PIB et 15% de la capitalisation boursière mondiale. La part de la capitalisation boursière ne représente que la moitié de celle du PIB. Sachant que le PIB est en forte croissance, la capitalisation boursière ne peut qu’augmenter."

Sur la base de ce qui précède, faut-il investir en Chine ou non?

Young: "Il est certainement possible de gagner de l’argent avec des ac- tions chinoises, mais ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. La plupart des entreprises ont été fondées il y a moins de dix ans et n’ont donc pas encore traversé de crise. C’est un critère important. Vous n’avez la certitude qu’une entreprise est de qualité que si elle a résisté à une profonde crise. En ce sens, la crise asiatique de 1987 a été riche en enseignements. De nombreuses entreprises dans lesquelles nous avons investi à l’époque sont toujours très performantes. La Chine présente encore un inconvénient supplémentaire: de nombreuses entreprises sont contrôlées par l’État. Les producteurs d’électricité, par exemple, sont aux ordres des autorités. Les entreprises chinoises manquent par conséquent d’esprit commercial. L’État interdit les hausses de prix dans certains secteurs par crainte d’une flambée inflationniste ou d’une révolution de jasmin. Les entreprises chinoises ne nous enthousiasment donc pas outre mesure. Et le pays compte une myriade de petites entreprises dont on ne sait pas si elles sont casher. Nous nous préférons dès lors miser sur la Chine par le biais de Hongkong, où les entreprises présentent un historique un peu plus consistant."

Price: "Nous investissons surtout en Chine via le thème de la consommation. La Chine ne tire pas uniquement profit de ses bas salaires: sa taille constitue un atout majeur. Pourquoi Coca-Cola a-t-elle grandi si vite? Parce que l’entreprise avait l’avantage de pouvoir produire sur un seul grand marché uniforme. De ce point de vue, la Chine dispose d’un avantage encore plus important. 1,3 milliard de Chinois, c’est un débouché immense et une opportunité unique pour une grande marque."

Comment jugez-vous les valorisations des marchés émergents?

Young: "En matière de valorisations, nous sommes dans un no man’s land. Chaque gestionnaire vous conseillera toujours d’acheter. Nous estimons qu’en termes de valorisation, les marchés émergents ne sont pas chers, mais certainement pas bon marché. Les bénéfices réalisés en 2011 ne seront pas aussi élevés qu’en 2010."

Price: "Dans une perspective historique comme par rapport à d’autres pays, les marchés émergents se trouvent à leur moyenne à long terme. Mais on peut se demander si ces valorisations sont correctes. Les rendements sur fonds propres y sont 25% plus élevés que dans les pays développés, alors que les ratios cours/valeur comptable sont plutôt élevés. Les bénéfices progressent deux fois plus vite qu’en Occident, et sur la base des ratios de bénéfice, les marchés émergents affichent une décote de 10% par rapport aux actions occidentales. Je vois donc encore du potentiel."

Comment voyez-vous l’avenir des marchés émergents?

Price: "Aujourd’hui, pour mettre sur pied une usine de ciment, il faut s’adresser aux Chinois. On y produit toujours 40% moins cher et la qualité est en amélioration constante. Les multinationales occidentales l’ont également remarqué et réalisent 70% de leurs investissements sur les marchés émergents. Conséquence : non seulement la croissance est plus élevée dans les marchés émergents, mais c’est également là qu’on crée des emplois. Or ceci constitue un problème fondamental. Je crains que nous soyons en train de vivre une révolution structurelle. Je ne pense pas que les initiatives des Etats occidentaux puissent déboucher sur une hausse de l’emploi. Dans un cycle normal, ce serait le cas. Mais pas cette fois, parce qu’un arbitrage est en train de s’effectuer. Les écarts de salaires vont lentement se réduire, mais en ce moment, ils restent 15 fois moins élevés dans certaines régions d’Asie. Les Occidentaux doivent complètement changer leurs attentes. Je veux que mes enfants intègrent qu’ils n’ont absolument plus rien à attendre des pouvoirs publics. Autrement dit: ne pas attendre de pension, ne rien attendre en matière de soins de santé, ne rien attendre en termes d’emploi… C’est la dure réalité avec laquelle nous devrons vivre en Occident."

Young: "Les marchés émergents ont un bel avenir devant eux, mais cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus de crise. Il y aura sûrement une prochaine crise dans les pays émergents. Mais où? Tout le monde montre du doigt la Chine, la crise éclatera donc sans doute ailleurs. La seule chose que nous pouvons garantir aux investisseurs est que certaines années se clôtureront sur des rendements décevants. C’est aussi un élément inhérent à tout investissement dans les marchés émergents."

Peter Van Maldegem - 12:07 - 20/06/2011

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