« Défenseure » n’est pas français !, par Maurice Druon
Le régime stalinien était spécialiste du détournement des mots afin de leur faire revêtir un sens différent de leur signification première, sinon même leur donner un sens franchement contraire. La Moscovie rouge n’avait-elle pas inventé le pléonasme de « démocratie populaire » pour désigner une dictature ? Tous les partis marxistes, quels qu’ils soient, où qu’ils soient, ont contracté ce vice mental ; tous ont détourné et continuent de travestir les vocables pour les faire servir à leurs fins subversives. Nos gauchistes de tout poil sont parvenus à faire un terme d’opprobre ou d’insulte du mot « libéral », qui veut dire « partisan de la liberté, défenseur des libertés ». On vous traite de libéral comme si on vous envoyait un crachat. Si le libéralisme est si haïssable, c’est donc que le bonheur est dans l’oppression et le totalitarisme. Libéraux, mes frères, quand donc allez-vous vous rebiffer ? Ces détournements de langage débordent à présent le domaine politique pour envahir tous les autres de la vie sociale. Personne ne conteste l’expression « mariage homosexuel » . Qu’on soit pour, qu’on soit contre, que certains l’autorisent et d’autres pas, peu me chaut. Mais ce que je ne puis admettre, c’est la dénomination même. La définition du mot mariage dans le Dictionnaire de l’Académie est la suivante : « Union légitime d’un homme et d’une femme, formée par l’échange de consentements que recueille publiquement le représentant de l’autorité civile... Désigne aussi le sacrement qui lie un homme et une femme s’unissant par l’échange des consentements au cours d’une cérémonie religieuse. » La cause me paraît entendue. J’ajouterai seulement par ironie : qu’en est- il, pour les couples homosexuels, de la « non- consommation » du mariage qui est motif de séparation ou d’annulation ? Autre faribole de même catégorie : le « baptême républicain ». Le baptême est un acte religieux, qui fait entrer dans une Église, une communauté de foi, et implique croyance en Dieu. La République est- elle une divinité créatrice de l’univers ? S’il s’agit de donner un parrain, une marraine, à un nourrisson, et bien appelons cela « parrainage civil » , mais ne maltraitons pas le langage ; ne confondons pas saint et sain. Car c’est la saine langue que je défends contre ces sottises acceptées. Je n’attends pas du gouvernement qu’il montre l’exemple du bon usage. Sa dernière bourde m’a fait bondir. Elle est monumentale. Je lis dans Le Figaro du 29 juin que Mme Dominique Versini, ex-secrétaire d’État chargée de la précarité et de l’exclusion, vient d’être nommée, en Conseil des ministres, « défenseure des enfants ». Je ne saurais nullement mettre en doute les qualités exceptionnelles de cette dame, qui justifient sa désignation à ce poste. C’est devant le mot que je m’indigne. Jamais le e muet ne fut la marque automatique du féminin. De toujours, les mots en « eur » ont la formation féminine en eure, trice ou resse. Le féminin de défenseur est défenderesse. Si l’on trouve « défenderesse » un peu recherché, on dispose du synonyme plus simple de « protectrice ». Pas un des trente- deux ministres n’a donc fait remarquer que défenseure n’était pas français ! Voyons, M. de Villepin savait écrire, naguère. Ses ouvrages en témoignent. Le pouvoir lui a-t-il fait perdre la connaissance de la grammaire ? Avec M. Jospin, par ses aberrantes et abusives instructions au Journal officiel, nous avons eu un démolisseur volontaire de notre langue. La droite est-elle devenue son obéissante héritière ? « Ma patrie, c’est la langue que j’écris. » Ceux qui insultent ma langue insultent ma patrie.
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