vendredi 30 mars 2012

Human Resources ?


Suicides à La Poste : une ex-DRH accuse

Créé le 29-03-2012 à 12h15 - Mis à jour à 12h27      3 réactions

INTERVIEW Astrid Herbert-Ravel, ancienne directrice des ressources humaines d'une division de La Poste, a porté plainte pour harcèlement moral contre son ex-employeur. L'audience au TGI de Paris est programmée pour janvier.


Ancien DRH à la Poste, Astrid Herbert-Ravel a porté plainte contre son ancien employeur pour harcèlement moral.L'audience à laquelle Jean-Pierre Bailly est convoquée doit se tenir en janvier. (SIPA)
Ancien DRH à la Poste, Astrid Herbert-Ravel a porté plainte contre son ancien employeur pour harcèlement moral.L'audience à laquelle Jean-Pierre Bailly est convoquée doit se tenir en janvier. (SIPA)

Ancienne DRH d’une grande division de la Poste, Astrid Herbert-Ravel a intenté une action judiciaire au pénal contre le président de la Poste. Elle vient d’obtenir une date d’audience de la 31e chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris. Jean-Paul Bailly est censé se rendre en personne, en janvier prochain pour y répondre de l’accusation de harcèlement moral. Elle a accepté de répondre aux questions de Challenges.
Quelle a été votre fonction au sein de La Poste ?
J’étais DRH des Services Financiers et du Réseau Grand Public d’Ile de France en 2002 quand je me suis retrouvée victime d’un harcèlement moral caractérisé, de la part d’un directeur récidiviste. Je suis alors entrée dans une longue et pénible période où j’ai été tour à tour mutée d’office, mise au placard, intimidée, renvoyée chez moi et poussée à la démission. J’ai moi-même traversé des moments suffisamment pénibles pour envisager le suicide.
Vous êtes toujours salariée de La Poste ?
Oui. Mais il m'est impossible d'y travailler, comme de très nombreuses personnes dont on ne sait que faire. J’ai ouvert une procédure de harcèlement, interne à l'entreprise, qui n’a pas été menée de façon objective. Voilà pourquoi, aujourd’hui j’ai décidé de passer la vitesse supérieure en attaquant nommément le président Jean-Paul Bailly ainsi que deux hauts responsables des ressources humaines pour harcèlement. C'est la seule façon aujourd'hui d'obtenir que les responsables viennent s'expliquer à la barre. L’audience de plaidoirie est prévue pour janvier 2013. Cela peut paraître lointain mais pour moi c’est enfin, peut-être la fin d’un long parcours.
N’est-il pas injuste de mettre en cause les dirigeants du groupe ?
Leur responsabilité est entière car ils ont l'obligation de prévenir et de traiter le harcèlement. Or, à La Poste, le harcèlement a été érigé comme mode de management, moyen silencieux et peu coûteux de se débarrasser des personnes gênantes, peu importe la raison. Quand La Poste est entrée dans une organisation par métiers, il y a quelques années, baptisée en interne "la métiérisation", des managers ayant des fonctions techniques sont devenus des directeurs à part entière, avec des responsabilités RH. Or ces responsables n’ont pas forcément été préparés alors qu’ils doivent eux-mêmes mettre en place de profonds changements à marche forcée avec des objectifs chiffrés.
Sachez que depuis 2003, 73.000 emplois ont disparu, sans l’ouverture du moindre plan social avec les outils d’accompagnement qui en découlent. Pendant ce temps, les règles RH sont devenues plus opaques et cloisonnées. Entre les mains de managers peu au fait des RH, c'est devenu le fait du prince, accentué sans doute par le passé de l'entreprise et ses coutumes.
Quelles sont les conséquences ?
On a dégraissé à la tronçonneuse, en poussant les salariés au départ. Les congés maladies et les cas d’inaptitude se sont multipliés, au point qu’un rapport de l’inspection du travail s'est ému de la tradition qui existe dans l'entreprise de pousser les salariés vers la maladie. Il y a aussi de nombreuses procédures disciplinaires abusives qui conduisent sans motif au licenciement. Autre méthode : l'incitation très forte à la retraite proposée en guise de sortie à des personnes en plein désarroi. Je dispose de nombreux témoignages de personnes qui m’ont contacté après m’avoir entendue à la radio.
Vous avez connaissance de cas de suicides ?
Oui, ça va bien au delà des 3 suicides médiatisés. Selon les syndicats, il y en aurait 73 identifiés l’an dernier, mais cela reste, selon moi, bien en deçà de la réalité. Et je ne compte pas les nombreuses tentatives, non comptabilisées ou alors considérées comme de simples malaises. Des tentatives de suicide, j'en ai vu quasiment dans tous les dossiers qu'il m'ait été donnés d'analyser.
Votre expérience et vos griefs personnels vous empêchent d’être objective sur le climat de stress et de mal-être au travail dénoncé par les syndicats.
La période difficile est derrière moi. Maintenant je ne me donne aucune chance de réintégrer l’entreprise, je porte un témoignage qui peut être utile. Je n’ai pas attendu les cas récents de suicides pour agir. J’ai écrit à Nicolas Sarkozy, François Baroin et Xavier Bertrand pour les alerter. L’Etat est l’actionnaire de référence de La Poste, il ne peut se désintéresser de cette affaire. La Poste est une bombe à retardement. On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas.

Contacté par Challenges, le service de presse de La Poste nous a adressé cette réaction :"Madame Astrid Herbert Ravel communique de manière à soutenir sa procédure judiciaire en cours pour harcèlement moral contre trois dirigeants de La Poste dont deux qu’elle n’a jamais rencontrés et un, une seule fois, à sa demande. L’objet de sa procédure est d’obtenir de La Poste une transaction financière d’un montant astronomique au prétexte que ses dix dernières années professionnelles ne correspondent pas à ce qu’elle pense mériter. A ce stade La Poste réserve les éléments de ce dossier pour la justice."

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