lundi 14 novembre 2011

Espéranto


" Une baisse alarmante du niveau de français "

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Michel Francard est professeur de linguistique à l'UCL et fondateur du centre de recherche Valibel, qui étudie la variété de la langue française. Il vient de réaliser une étude auprès de 43 entreprises (27 000 employés). Pour lui, il y a urgence : la maîtrise du français dans les entreprises est un réel problème.
Qu'arrive-t-il si l'on profane le temple du verbe managérial ? Est-ce un frein à l'embauche ?
" Plus qu'un frein, c'est un critère de sélection qui ne dit pas son nom. La connaissance du français reste un facteur de discrimination sociale. La majorité des DRH que nous avons interrogés avouent qu'à un certain niveau de recrutement, les fautes d'orthographe sont rédhibitoires. Ils éliminent plus facilement les CV et les lettres de motivation qui comprennent des fautes d'orthographe. Non seulement l'orthographe en particulier et la qualité d'expression en général comptent, mais ils sont considérés comme des prérequis. Et ce, malgré le fait que les descriptifs de profils ne contiennent pas d'items à ce propos. L'orthographe est certes une convention, susceptible de réformes. Mais il n'en reste pas moins que le contrat social et donc l'accessibilité au marché passent par l'orthographe telle qu'elle est codifiée actuellement. Et l'on sait que les codes sont fondamentaux dans la marche d'une entreprise. "
Les nouvelles générations ont-elles un déficit de ce point de vue ?
" Les DRH sont unanimes : ils jugent que le niveau de français connaît une baisse alarmante. Ils s'accordent aussi à dire que leur exigence n'a pas faibli. Mais rien ne permet d'affirmer scientifiquement que les jeunes ont un plus grand déficit. D'ailleurs, le niveau de connaissance général est en hausse. De plus en plus de personnes ont accès à l'éducation et à la culture. S'il y a un déficit, il se situe dans la formation initiale. Car ce qui change, c'est l'attention accordée à l'orthographe dans l'éducation : il y a une moindre préparation des élèves et des étudiants à la maîtrise de la langue en général et à l'orthographe en particulier. Ce que constatent aussi les DRH, c'est que les plus jeunes sont moins sensibles et à la norme. Cependant, dans les situations où la norme reprend toute son importance, nous disposons de moins de filets qu'auparavant : il n'y a plus de secrétaire ou de relecteur pour corriger les erreurs de l'employé, du cadre ou du patron. Or, l'orthographe étant généralement considérée comme une sorte de " carte de visite " de l'entreprise, son altération produit des effets dans la communication interne, ainsi que sur l'image externe de l'entreprise. "
L'essor d'internet risque-t-il d'amoindrir l'importance du choix des mots et de la langue dans la communication de l'entreprise ?
" Les gens ont rarement écrit autant qu'aujourd'hui, que ce soient des courriels, des SMS ou bien d'autres messages. Ces nouveaux médiums favorisent un mode généralement informel. Mais il n'y a pas de cause à effet entre l'écriture des SMS et la maîtrise du français. C'est avant tout une question d'attention et d'attachement à la norme. Ce qui est plus préoccupant, c'est la substitution linguistique qui s'opère dans les milieux professionnels. Le français ne disparaît pas à cause des emprunts périphériques. Ce sont les locuteurs qui décident de changer de langue, au profit de l'anglais. Dans tous les domaines d'avenir - en particulier technologiques -, on crédite l'idée que la langue de l'avenir est l'anglais. C'est une nouvelle Trahison des clercs, car on acclimate les gens à ce basculement. La seule chose qu'on peut faire, c'est être lucide. "




La trahison des clercs

Ecrivain français (1867-1956), auteur de Belphégor (1919) et deLa France byzantine (1945), Julien Benda dénonça dès 1927, dans son ouvrage le plus célèbre, La Trahison des clercs, la capitulation des intellectuels français, traîtres à leur mission de défenseurs du rationalisme démocratique.
janvier 1996
L’attachement du clerc à sa nation ou à sa classe, qu’il soit dicté par l’intérêt ou par l’amour, est sincère. Cette sincérité, l’avouerai-je, je la crois peu fréquente. L’exercice de la vie de l’esprit me semble conduire nécessairement à l’universalisme, au sens de l’éternel, à peu de vigueur dans la croyance aux fictions terrestres ; en ce qui touche spécialement la passion nationale et particulièrement les gens de lettres, la sincérité de cette passion me semble supposer une vertu dont tout le monde conviendra que, hormis l’amour qu’ils se portent à eux-mêmes, elle n’est pas le propre de cette corporation : la naïveté. On me persuadera mal aussi que, chez des artistes, les attitudes publiques aient pour mobiles des choses si simples que la volonté de vivre et de manger. Je cherche donc et je vois, au réalisme du clerc moderne, d’autres raisons qui, pour être moins naturelles, n’en sont pas moins profondes. Elles me paraissent valoir surtout pour les gens de lettres et singulièrement pour ceux de la France. Aussi bien est-ce en ce pays que l’attitude des écrivains de ce dernier demi-siècle fait le plus fort contraste avec celle de leurs pères. D’abord je vois l’intérêt de carrière. (...)
Ces remarques expliquent la volonté si fréquente chez l’écrivain français contemporain de prendre une posture politique, mais non pourquoi elle est si ponctuellement, encore que plus ou moins franchement, dans le sens autoritaire. C’est ici qu’intervient un second facteur : la volonté, chez l’écrivain pratique, de plaire à la bourgeoisie, laquelle fait les renommées et dispense les honneurs. (...)
Pour en revenir à l’écrivain moderne et aux causes de son attitude politique, j’ajouterai que, non seulement il sert une bourgeoisie inquiète, mais qu’il est devenu lui-même de plus en plus un bourgeois pourvu de toute l’assiette sociale et de toute la considération qui définissent cet état, l’homme de lettres « bohème » étant une espèce à peu près disparue, du moins parmi ceux qui occupent l’opinion ; qu’en conséquence, il a été atteint de plus en plus de la forme d’âme bourgeoise, dont l’un des traits bien connus est d’affecter les sentiments politiques de l’aristocratie : attachement aux régimes d’autorité, aux institutions militaires et sacerdotales, mépris des sociétés fondées sur la justice, sur l’égalité civique, religion du passé, etc.
Julien Benda, La Trahison des clercs, introduction d’André Lwoff, avant-propos d’Etiemble, Grasset, coll. « Les Cahiers rouges », Paris, 1990.

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